Game of thrones : saisons 1 & 2
David Benioff et D.B. Weiss

bubDeterreDepuis deux ans, HBO co-produit et diffuse Game of Thrones, une série spectaculaire adaptée d’un roman fleuve d’heroic fantasy : A Song of Ice and Fire. La puissance de ce spectacle mis en scène dans les deux premières saisons (*) tient bien évidemment au potentiel scénaristique du texte original. Mais surtout l’efficacité de la série relève d’une grande intelligence dans l’adaptation de l’œuvre de George R. R. Martin. Car cette intelligence tient compte du spectateur sans oublier de laisser de la place à l’inventivité et au questionnement critique.

David Benioff et D.B. Weiss ont eu le nez creux en choisissant de reprendre à leur compte l’univers d’heroic fantasy développé par George R. R. Martin dans ses livres. Ils en reproduisent les traits principaux les plus efficaces. Dans un contexte aux accents médiévaux, l’ordinaire de la chevalerie et des jeux de cour se mêle à du surnaturel. L’histoire met aux prises différentes familles aristocratiques, et le moteur du drame est l’évolution incessante et mouvementée de leurs relations. Les alliances et les conflits entre les Baratheon, les Stark, les Lannister ou les Targaryen mobilisent des combats militaires, des renversements de situations, des trahisons, des valeurs nobles avec leurs devises, des « marcheurs blancs » revenus de la mort ou encore des dragons. Le spectacle bat son plein et tous les éléments sont réunis pour faire d’un drame à fort potentiel commercial un véritable succès : les effets spéciaux, les acteurs, les choix de mises en scène sont de qualité. HBO a mis le paquet, ça se sent.

Mais en s’appropriant le monde proposé par Martin, Weiss et Benioff s’autorisent quelques écarts. Les lecteurs déçus pourront arguer du fait que la série dans le détail trahit trop souvent la saga écrite, ou que la forme d’énonciation originale n’est pas respectée. Oui, peut-être que les deux créateurs de la série ont ici choisi un parti-pris moins périlleux pour le médium audiovisuel qu’une multiplicité de points de vue à la première personne. Peut-être ont-ils pris quelques libertés par rapport aux situations, événements et équilibres relationnels proposés par le texte. Mais la question ici n’est pas de savoir si l’adaptation est fidèle ou non à l’original. Elle est plutôt de saisir dans quelle mesure la distance à l’original sert une vision inventive. Et dans le cas de Game of Thrones, les deux premières saisons laissent à penser que cette distance n’est pas le fruit d’un manque de rigueur ou de respect au texte de Martin.

Car l’efficacité de cette œuvre audiovisuelle vient du fait que Benioff et Weiss semblent très attentifs à la position du spectateur et aux possibilités qu’offre la forme de la série. Une des marques les plus évidentes de leur intelligence est l’importance accordée à ces scènes ne comportant aucune action physique spectaculaire et dont la dynamique interne est portée principalement par les dialogues, de menus gestes du quotidien et des regards servant à exprimer les rapports de force ou les tentatives de séduction. Du temps est toujours donné pour bien saisir les enjeux d’une séquence et l’épaisseur des personnages, même quand ce temps semble gratuit ou de prime abord gaspillé. A ce sujet est exemplaire la scène où Jaime Lannister bavarde avec son cousin dans une geôle de Robb Stark à la fin de la deuxième saison. Leur longue discussion intime paraît de prime abord répondre à un besoin logique d’épanchement et de réconfort entre deux membres d’une même famille entourés d’ennemis. Le renversement final de la scène où Jaime sacrifie son cousin pour s’échapper de sa prison ne soulignerait pas avec autant de force la cruauté et l’individualisme forcené de Jaime si leur discussion préalable n’avait pas été rapportée avec une telle économie. Le spectateur peut grâce à elle, d’épisode en épisode se familiariser très progressivement avec la foultitude de personnages, de lieux, de légendes et de détails prosaïques qu’il découvre et qui semblent lui préexister.

Mais plus encore, l’intelligence des « adaptateurs » se ressent dans le générique d’introduction dont le spectateur découvre l’utilité rhétorique au fur à mesure qu’il voit les épisodes. Ce générique a en fait une double vertu. Il permet de construire de l’espace et du temps. En images de synthèses, il propose en survol une carte du territoire sur lequel se déroule le drame que nous présente la succession des épisodes. Plus précisément, il permet au spectateur de situer les villes importantes de l’action : Winterfell, King’s Landing, Pyke, Qarth… Il permet aussi de se faire une idée des distances entre elles, de leurs climats respectifs, de leurs ancrages terrestres ou maritimes. Et par conséquent il permet de traduire en espace la réalité des équilibres géopolitiques. Là encore David Benioff et D.B. Weiss adaptent l’univers de Martin d’une manière active qui est adéquate au médium télévisé et aux habitudes de réception des spectateurs. Sans pour autant leur mâcher tout le travail, ils facilitent l’orientation du spectateur dans le temps et l’espace du récit et l’amènent ainsi à porter son attention sur ce que l’image propose en elle-même, au-delà du contexte.

Car il y a autre chose que du spectacle dans Game of Thrones. Il y a un certain regard sur la nature humaine et sur son développement culturel et mythologique. Il y a tout un rapport spécifique au monde et à l’avenir que l’image en mouvement peut imprimer chez le spectateur encore plus efficacement que le texte. Là encore le générique de la série est exemplaire dans le cadre de l’adaptation. Suivant le contenu de l’épisode qui s’ouvre, le générique s’arrête sur certaines villes pour aider le spectateur à se remettre en contexte sans être submergé par une vague d’exhaustivité. Et en survolant les localisations géographiques retenues, les villes sortent littéralement de terre, elles s’élèvent vers le ciel dans un mouvement rotatif. Pour les représenter ainsi les créateurs du générique ont choisi une esthétique qui est tout sauf fortuite : celle des roues dentées et autres engrenages mécaniques. Ce que le spectateur voit systématiquement surgir sous ses yeux dès qu’on s’en approche, ce sont des cités en train de se faire, fabriquées comme sous l’effet d’une manivelle invisible. Le principe premier de Game of Thrones est ainsi donné d’emblée. Quelque chose d’inéluctable est en train de se produire là, sur ce territoire. Et vous autres spectateurs allez pouvoir en comprendre les moindres rouages. Le temps de la série qui les engrène  et les fait jouer dans la durée peut même servir à les démonter patiemment par l’analyse. Avec ce générique et son esthétique mécaniste les créateurs de la série produisent une impression d’inéluctabilité avec une puissance et une sorte d’immédiateté propres à l’image en mouvement.

Avec ces deux premières saisons, Game of Thrones réalise donc le coup de force de ne pas perdre le spectateur dans son réseau d’intrigues, de jeux de pouvoirs, de personnages secondaires, de lieux aussi. Il l’amène à s’imprégner d’un regard sur la nature humaine (« Ne vous fiez à personne ») et d’un rapport à l’avenir (« L’hiver approche ») qu’il peut ensuite questionner. Car à un autre niveau de lecture, Game of Thrones est une série diffusée dans un contexte de crise financière mondiale et à une époque où l’image en mouvement s’immisce dans les espaces et les temps de tout un chacun. Quelle relation de confiance le spectateur peut-il nourrir avec l’image et le récit qu’elle anime, aujourd’hui, et pour demain ? La troisième saison donnera éventuellement des pistes de réponse. Ou pas. On verra.

(*) la troisième est actuellement en productionbub

Jacques Danvin

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Game of Thrones de David Benioff et D. B. Weiss (Etats-Unis ; format 52 min)

Date de diffusion : 2011-2012

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