Laurence Anyways
Xavier Dolan

DeterreAssez judicieusement, le nouveau film de Xavier Dolan s’intitule Laurence Anyways. Il tourne en effet autour du personnage éponyme et multiplie les manières de le mettre en scène comme autant de tentatives possibles de le saisir enfin. Mais plus que le personnage de Laurence, c’est la relation avec Fred sa compagne qu’il cherche à approcher dans toutes ses contradictions. Derrière l’outrance et l’instabilité de la mise en scène qui fait écho à celles de cette relation apparaît de manière fragile une idée sobre d’une justesse étonnante : l’amour et l’intelligence ne font pas toujours le bonheur.

Fred et Laurence vivent à Montréal une belle histoire d’amour depuis trois ans. Leur énergie commune est redoutable. Ils se trouvent parfaitement, ils se comprennent. Les bons mots fusent entre eux comme s’ils étaient de vieux compères. Les corps s’appellent dans un ballet qui s’adapte aux situations : dans la chambre, dans une voiture, en société. Fred est une femme québécoise, première assistante sur des tournages de cinéma. Laurence est un homme français, professeur de littérature française et écrivain en devenir. Mais, malgré leur complicité et l’amour qu’ils se portent, Laurence n’est pas heureux. Car il veut ressembler à une femme depuis qu’il est enfant. Et quand il le révèle enfin à Fred, celle-ci cherche la bonne manière de réagir. D’abord incrédule, puis inquisitrice, elle prend un peu le large pour reprendre ses esprits. Puis elle revient vers lui avec un courage étonnant pour l’aider à se transformer et à faire face au monde. Elle cherche ainsi à trouver avec lui et de manière active un nouvel équilibre dans leur couple. Elle l’aide à se maquiller, à s’habiller en femme. Elle lui offre même une perruque qu’il va se forcer à porter sans lui avouer qu’il n’aime pas ça. Mais quelque chose ne fonctionne pas dans cette nouvelle situation. Leur couple va ainsi se défaire et se reformer plusieurs fois, allant d’échec en échec, jusqu’à ce qu’ils renoncent enfin. Chacun à sa manière va comprendre qu’ils ne pourront dépasser une impossibilité. Ils ont beau s’aimer passionnément, ils ont beau comprendre parfaitement les aspirations de l’autre, ils ne parviennent pas à les conjuguer au quotidien. Lui, il veut pouvoir ressembler à une femme tout en restant avec Fred, quitte à s’isoler du monde sur une île avec elle. Elle, elle veut pouvoir s’afficher en public avec cet homme qui s’appelle Laurence mais seulement s’il ressemble à un homme. L’un et l’autre ils aimeraient pouvoir dépasser leurs points de blocage respectifs pour rendre possible une nouvelle histoire commune, mais aucun ne saura y parvenir. Leur bonheur est ailleurs s’il existe, et il est dur de l’accepter.

Cette idée ne va pas de soi. Que ce soit dans le film ou en-dehors de celui-ci, d’ailleurs. Elle est ténue et difficile à mettre en scène. Elle ne s’impose que petit à petit car il est dur de l’admettre. Dans Laurence Anyways en particulier, cette non garantie du bonheur malgré l’amour et l’intelligence n’est pas évidente à saisir parce qu’elle tranche avec la tonalité générale de ce que montre Xavier Dolan. La sobriété et la justesse de l’idée n’ont en effet rien à voir a priori avec l’outrance et l’instabilité du récit et de la réalisation. Les choix esthétiques de Dolan, le traitement du son, les effets visuels sont certes complètement cohérents avec ce récit fait d’excès en tous genres : changement de sexe, fossé culturel franco-québécois, haute bourgeoisie et culture punk, urbanité de Montréal et solitude des marginaux qui se recomposent une famille entre eux… L’utilisation de la musique pop des années 80-90 n’est pas loin par moments de donner la nausée tant elle est forte et couvre les dialogues. Les ralentis, les points de montage sciemment visibles, la recherche permanente du tableau visuel, les angles et le cadrage non usuels, ou encore les couleurs dominantes des plans : tous ces choix formels très ostentatoires qui sont souvent à la limite peuvent agacer. Et c’est à se demander s’ils n’entravent pas l’idée qui se dessine comme un sous-entendu difficile à admettre. Sauf que ce serait se tromper. Dans l’ensemble ils impressionnent. Ils n’entravent pas, ils libèrent. Le sentiment d’outrance diminue au fur et à mesure que le récit avance. L’immersion dans une ambiance aussi atypique paie au bout du compte. La grande force assez géniale de Laurence Anyways est de laisser cette idée faire son chemin à sa manière, de la révéler progressivement malgré et par l’outrance et l’instabilité des situations et de leurs représentations, et de la laisser ainsi s’imposer dans toute sa fragilité.bub

Jacques Danvin

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Laurence Anyways de Xavier Dolan (Canada, France ; 2h39)

Date de sortie : 18 juillet 2012

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