BLANCHE-NEIGE ET LE CHASSEUR
Rupert Sanders

—-EnterreSi Leos Carax avait besoin de trouver dans la production actuelle un film typique de ce qu’il semble avoir voulu dénoncer avec Holy Motors, il pourrait tout à fait choisir Blanche-Neige et le chasseur. Ce dernier présente en effet tous les symptômes d’une œuvre sans auteur, c’est-à-dire sans idée à soi. En empruntant plus ou moins habilement les recettes de nombre de films à succès, mais sans pour autant rien inventer en propre, ce film de Rupert Sanders illustre parfaitement la thèse de Carax et peut nous faire croire malheureusement qu’il y a là comme une fatalité. Sauf que c’est faux. Si Blanche-Neige et le chasseur se perd dans la médiocrité, ce n’est pas parce qu’il y est prédestiné. C’est parce qu’il manque son rendez-vous avec sa propre histoire.

Plusieurs œuvres en comparaison peuvent servir à expliquer cette idée. Elles sont d’ailleurs plus ou moins clairement « citées » dans le film. Il s’agit en premier lieu de la saga du Seigneur des Anneaux. L’univers médiéval et fantastique typique du genre heoric fantasy est à l’œuvre dans Blanche-Neige. On y trouve la même volonté que pour Le Seigneur des Anneaux de faire légende au travers d’une quête que souligne une voix off expliquant des origines mythologiques et des luttes de pouvoir. Les deux œuvres partagent une photo « manichéenne » : soit métallique tout en niveaux chromatiques sombres (pour le mal), soit au contraire saturée de couleurs vives (pour le bien). Les décors jouent du même mode binaire. Ils marquent une situation sociale où brille l’absence de « classes moyennes » : les pauvres vivent dans l’insalubrité et les nobles dans le luxe. Difficile ensuite de ne pas citer Robin des Bois prince des voleurs.Le personnage de William, ami d’enfance de Blanche-Neige, est l’archétype du noble déchu entré en résistance. Il monte des embuscades dans les bois, use de son arc pour servir la justice et nuire à l’ennemi qui a usurpé le pouvoir. Il est possible également d’associer à Blanche-Neige deux autres films travaillant spécifiquement sur la figure du héros et à qui Rupert Sanders reprend ponctuellement quelques idées formelles. D’abord Gladiator de Ridley Scott pour ses scènes de combat militaire. Quand le père de Blanche-Neige mène ses troupes cavalières à l’assaut de l’armée fantôme, Ruppert Sanders choisit de mettre en scène cette attaque en copiant celle de Maximus contre les Germains avec le même plan d’ensemble en plongée diagonale et sur un même champ de bataille en lisière de forêt. Idem de l’attaque finale dans la cour du château de Ravenna où les soldats du Duc pratiquent spontanément l’art romain de la tortue comme Maximus et ses centurions. Enfin parlons d’Avatar de James Cameron que viennent rappeler deux des plans de Blanche-Neige : le premier est une plongée verticale au-dessus d’une forêt sans feuilles qui par dézoome figure un réseau de racines comme sur la planète Pandora ; le deuxième est l’apparition de deux petits êtres aussi asexués que bienveillants et capables d’habiter le corps de petits oiseaux pour rejouer la prétendue innocence des êtres de la forêt.

La comparaison avec ces quatre œuvres permet de mettre en évidence en quoi Blanche-Neige et le chasseur manque le rendez-vous avec sa propre histoire. Dans le film de Ruppert Sanders la notion de destin est exploitée comme moteur narratif. Blanche-Neige est l’élue de par sa naissance, et tout le monde est appelé tôt ou tard à s’incliner sur son passage, hommes et bêtes. Les scènes du film s’enchaînent de fait comme autant de passages obligés avant l’épreuve finale qui la verra vaincre sa belle-mère et reprendre le trône. Ce schéma de prévisibilité est à l’œuvre dans Le Seigneur des Anneaux également, mais la différence de qualité entre les deux œuvres tient au fait que Peter Jackson a au moins eu le mérite de construire un espace à part entière dans lequel le spectateur peut se projeter en fonction des temps de déplacement des personnages, alors que le royaume de Blanche-Neige n’a aucune forme logique dans son ensemble. L’espace ici n’est qu’une somme de fragments de lieux sans couture. Et le temps passé entre les lieux de l’action n’observe aucune vraisemblance narrative. On met un temps fou à suivre Blanche-Neige à passer par tous les lieux importants du récit que sont le château de Ravenna, le village insalubre, la sombre forêt, le village lacustre, la vallée verdoyante avec sa belle cascade, et le château du Duc, pour au final faire le chemin inverse comme par un raccourci magique qui tient dans un seul raccord d’images. Ces invraisemblances trouvent leur pendant dans le scénario. Blanche-Neige a besoin au moment M de s’enfuir de la tour où elle est enfermée ? Un oiseau vient justement la guider vers le moyen qu’elle aurait pu voir des milliers de fois avant si elle s’en était donnée la peine. William a besoin de retrouver la piste de Blanche-Neige en suivant la traque que mène le frère de Ravenna ? Il passe en un raccord de plans ou presque d’un château à l’autre et se fait enrôler sans trop de discussion pour partir à la poursuite de la belle.

Plus encore que pour les vraisemblances de « coutures », ce film est particulièrement désinvolte et paresseux dans son rapport au conte originel. La notion de destin n’est jamais interrogée en soi, elle n’est qu’une facilité. Si Avatar est si inventif en comparaison, c’est parce que James Cameron parvient à produire un monde en soi d’une grande exigence formelle et conceptuelle, alors que pour le construire il s’appuie lui aussi sur une histoire d’un grand classicisme et prévisible. A la différence de Blanche-Neige, le personnage appelé à être le héros n’est pas prédéterminé par la légende, il se révèle à soi-même en acceptant de correspondre à un mythe qui lui donne une force supplémentaire. Un infirme devient le libérateur d’un peuple opprimé grâce au « déplacement » que lui permet l’avatar. Le héros de l’histoire singulière et le mythe de l’Histoire d’un peuple se rencontrent et font corps. Or Blanche-Neige est contrainte d’être son propre avatar, de n’être que ce que sa naissance lui prédit de devenir. Elle n’a pas à devenir le héros de l’histoire en se surpassant, le tapis rouge scénaristique lui est déroulé par avance. Elle a beau avoir les mêmes motivations que Robin des Bois ou Maximus « l’Espagnol », elle n’a rien d’autre finalement qui lui permette d’incarner le héros. La vengeance est un ressort bien pauvre pour faire croire qu’un individu est prêt à jouer un certain rôle dans l’Histoire et à accepter d’endosser les oripeaux du destin. Cette Blanche-Neige n’a nulle épaisseur et nulle particularité en-dehors du chemin tout tracé. Elle est neutre et sans caractère dans un monde sans consistance et bien mal fagoté.

Au final, Blanche-Neige et le chasseur est un film qui n’invente rien en propre, il se contente d’emprunter sans rien offrir en retour. Il n’est qu’une redite médiocre. L’absence d’idées de réalisation et l’incapacité à interroger finement les motivations des protagonistes posent une question que reprendrait peut-être Leos Carax d’ailleurs : quelles sont les réelles motivations des producteurs et réalisateurs de ce film ? Sûrement pas la recherche de la singularité et de l’intelligence. Non, assurément pas.

Jacques Danvin

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Blanche-Neige et le chasseur de Ruppert Sanders (Etats-Unis ; 2h06)

Date de sortie : 13 juin 2012

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