R.E.M.
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FocusDrôle de parcours que celui de R.E.M., dont les courbes de succès critique et public se seront pour ainsi dire croisées pendant leurs trente années de carrière (1983-2011). On ne va pas faire de dessin, mais pour résumer disons que les années indépendantes (les premières) sont celles de la reconnaissance par la presse ; tandis que le groupe n’a trouvé un public très large qu’à l’aube des années 90 avec Out of Time (1991), alors qu’ils étaient signés depuis peu sur Warner. Court moment de grâce puisque peu de temps après la presse spécialisée a commencé à se détourner progressivement des américains. D’aucuns prétendront que c’est l’apanage de nombreux combos, de se voir délaissé par la critique quand on rencontre la masse. Mais plus que chez d’autres, ce croisement semble être chez R.E.M. le symptôme d’un groupe qui, bien qu’énorme, a toujours été beaucoup plus à l’aise pour sortir de son chapeau de grandes chansons plutôt que de grands disques.

Evidemment, on pourra toujours arguer qu’Automatic for the People (1992) est leur fameux chef d’œuvre unanimement salué, celui qui a réuni furtivement public et critique. Mais vingt ans après, le disque, toujours très bon, surprend surtout par sa sagesse. Ce qui nous amène à penser, avec le recul de cette carrière achevée récemment, que les R.E.M. n’ont finalement jamais été aussi bons que lorsqu’ils ont cherché à retrouver un son sale après des albums très (trop ?) calmes, qui mettaient de côté la dynamique de leurs premiers efforts.

À ce titre, Murmur (1983), en opposition à Automatic for the People, est encore impressionnant de nos jours, au même titre que Fables of Reconstruction (1985) et Lifes Riche Pageant (1986), car ces premiers essais posent les bases d’un rock très mélodique, simple et dégageant une énergie folle. En ce sens, parce qu’ils avaient l’expérience, parce qu’ils avaient le son, parce qu’ils ont eu aussi le courage de remettre en question une image qui a construit leur succès (de la pop orchestrale de facture très classique) Monster (1995) et New Adventures in Hi-Fi (1997) sont certainement les disques les plus réjouissants de R.E.M., parce que libérés et mâtures. Comme si, la gloire enfin rencontrée, les quatre d’Athens, Georgie pouvaient enfin revenir à leurs premières amours : guitare, basse, batterie et c’est tout.

Attention, il ne s’agit pas ici de remettre en question l’importance du quatuor dans le monde du rock (citons Nirvana et Radiohead parmi les groupes qui revendiquent s’en être influencés, ce qui n’est pas rien), mais simplement de soumettre l’hypothèse que R.E.M. est certainement plus un groupe à singles, comme l’ont pu être les Rolling Stones par exemple. D’ailleurs, reconnaissons que chaque galette du groupe contient son lot de pépites, exception faite des trois derniers disques, qui ont malheureusement tourné à l’écriture automatique.

Cependant, malgré les qualités indéniables du songwriting, et le chant unique de Michael Stipe,  jamais le groupe n’a pris le parti de sortir du cadre un peu restreint du pop-rock. Il est d’ailleurs étonnant de constater qu’un disque comme Up ! (1998) ait pu être considéré en son temps comme un disque électronique et surprenant alors qu’il n’est que le résultat un peu pataud d’une période de transition : leur batteur ayant jeté l’éponge suite à des problèmes de santé, le groupe a été contraint, par la force des choses, de retrouver le chemin des belles mélodies qui ont fait leur gloire quelques années auparavant, et d’abandonner le chemin plus aventureux emprunté au gré de leurs albums électriques si convaincants. Si de l’électronique il y a dans Up !, c’est via quelques boîtes à rythmes maigrelettes, des synthétiseurs très discrets. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une réelle prise de risque.

Ce qu’on peut regretter à l’écoute de l’intégrale de R.E.M., c’est finalement cette obsession de la belle chanson plutôt que du bel album. Difficile de les blâmer pour cela, mais il reste cette constatation un peu frustrante qu’un bon disque de R.E.M., c’est « seulement » une compilation de bonnes chansons, sans temps mort, soit, mais sans cette force d’ensemble, ce petit plus de fièvre et d’ampleur qui a conduit aux plus grands chefs d’œuvre de la pop.

François Corda

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