Tyrannosaur
Paddy Considine

DuelAprès avoir lu la critique que Jacques a faite de Tyrannosaur, François s’est précipité pour aller voir le film. Et comme pour A Dangerous Method de David Cronenberg, Dernière Séance de Laurent Achard, ou 2 Days in New York de Julie Delpy, il n’est non seulement pas d’accord avec son inséparable compère, mais en plus il tient à le faire savoir ! Division plus ou moins nette sur fond de scénario, de chien et d’émotions.

FC : Mon impression après la vision de Tyrannosaur est très mitigée. Je suis d’accord avec ton analyse à froid sur les talents de réalisateur de Considine, mais le sentiment prégnant que je garde est que le scénario est beaucoup trop prévisible pour que l’on puisse vraiment s’émouvoir de ce qui arrive aux personnages. Pour moi, on n’est pas loin (pour ne pas dire que l’on est trop proche) de la caricature, et cela m’a sans cesse laissé à distance des événements. Toi qui as adoré le film, tu ne trouves pas que c’est gênant ?

JD : Je ne dirai pas que le scénario est « prévisible », mais si l’on veut vraiment utiliser ce terme, alors je l’utiliserai dans le même sens que pour qualifier le scénario de certains films comme Avatar de James Cameron ou Contagion de Steven Soderbergh. Que ces scénarios soit structurés de manière très classique suivant des codes de narration bien rôdés (Avatar), ou qu’ils suivent un déroulé logique qui fait l’économie de grands coups de théâtre spectaculaires (Tyrannosaur et Contagion), d’une certaine manière ils remplissent tous une même fonction. Ils servent des projets stylistiques qui les dépassent, et qui sont à mon avis plus cinématographiques que dramatiques. Dit autrement, le story-telling n’y est qu’un moyen, et non la fin. Du coup, une fois cette précision apportée, j’ai bien du mal à répondre à ta question initiale. Dis-moi pourquoi en allant voir ce film tu t’attendais à être ému de ce qui arrive aux personnages.

FC : Bon, déjà, je te rejoins complètement sur Avatar et Contagion, c’est un bon point ! Les détracteurs d’Avatar ont en effet beaucoup attaqué le scénario, alors que c’est avant tout un prétexte à une grande vision de cinéma. OK. Sauf que pour Tyrannosaur, on n’est pas du tout dans la même logique. Je ne m’attendais pas à être « ému » par Avatar parce que j’y allais pour voir un film d’aventures à grand spectacle. Je ne m’attendais pas à être ému par Contagion parce que le pitch laissait clairement entrevoir un film froid et clinique (j’ai d’ailleurs été servi !). Par contre, en ce qui concerne Tyrannosaur, je m’attendais à être chamboulé après avoir lu ta critique. Mais ce fameux « état de veille anxieuse » que tu évoques, je ne l’ai jamais ressenti. En d’autres termes, j’allais voir un drame psychologique, je voulais verser ma petite larme, être bousculé, et de ce point de vue là je n’ai pas été comblé.

JD : OK, ma critique t’a donc trompé. En fait, par « état de veille anxieuse », je ne voulais pas obligatoirement dire que le spectateur était amené avec Tyrannosaur à ressentir à l’identique les émotions des deux personnages principaux. J’entendais plutôt indiquer par là qu’il y avait une sorte de correspondance à deux niveaux distincts, entre d’un côté la manière qu’ont Hannah et Joseph d’appréhender les événements dramatiques de leurs vies, et de l’autre la façon qu’a le spectateur de négocier avec les événements visuels et sonores de l’objet filmique. Tout le monde est en état d’alerte, mais pas pour les mêmes raisons et pour les mêmes rapports. En aucun cas je ne voulais laisser entendre qu’il s’agissait d’identification ou de quelque chose d’approchant.

FC : Ah d’accord ! J’avais compris dans ta critique que l’anxiété découlait, bien sûr de la mise en scène, mais aussi (et surtout) de ce que subissent les personnages, en l’occurrence une grande violence physique et émotionnelle. Pour ma part je ne peux concevoir de séparer un film en deux plans distincts, sa mise en scène et son scénario ; comme je ne peux concevoir d’aller voir ce genre de films sans me sentir touché par le destin de ceux qui vivent des situations aussi terribles. Et là j’ai le sentiment que ton plaisir s’est joué quasi exclusivement sur le seul plan de la mise en scène.

JD : Ce n’est pas vraiment la mise en scène et le scénario en tant que tels que je sépare. C’est plutôt des types de rapports entre des individus qui éprouvent des émotions (les personnages et le spectateur) et les causes de ces émotions (des événements biographiques propres à l’histoire, des effets produits par le film en tant qu’ensemble monté d’images et de sons). Ceci dit, à relire mon article, je comprends que tu puisses croire que seule la mise en scène m’ait touché. Je profite donc de ce duel pour indiquer que c’est un peu moins cérébral que ça. Ce qu’Hannah et Joseph vivent dans Tyrannosaur me touche énormément, même si je ne m’identifie pas vraiment à eux. Mais je suis en empathie, certainement, oui. Disons que tout en restant à distance d’eux, j’ai pu ressentir quand même des choses très fortes en voyant le film. Apparemment, ça ne s’est pas passé comme ça dans ton cas, si je comprends bien.

FC : Non, en effet. Je reconnais que le réalisateur a mis beaucoup de soin à rendre ses personnages humains, touchants par leur complexité. Malheureusement, je trouve cette complexité artificielle, et c’est ce modèle caricatural dont je te parlais : la personnalité d’Hannah, Joseph et James se résume à la somme d’actes très, trop signifiants. La normalité n’a pas sa place dans Tyrannosaur, tout me semble exagéré, dans les caractères, les faits et gestes de ces gens à commencer par la scène d’introduction avec le chien. Et cela trouble à mon avis la véracité du drame. Sur un thème très dur (l’inceste), et avec une réalisation aussi très soignée, je me souviens avoir été autrement conquis par The War Zone… Bref, laissons aux spectateurs le soin de faire le choix !bub

François Corda et Jacques Danvin

bub

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Tyrannosaur de Paddy Considine (Royaume-Uni ; 1h31)

Date de sortie : 25 avril 2012

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