Tyrannosaur
Paddy Considine

DeterreTyrannosaur est un film terrible et inquiétant. La violence ambiguë du tableau social contemporain qu’il dépeint au travers du drame que vivent à Glasgow Joseph et Hannah est démultipliée et questionnée par une mise en scène plus qu’efficace. Non seulement les choix de réalisation font mouche pour produire leur effet, mais en plus ils disent quelque chose du cinéma qui dépasse la question du simple savoir-faire. Dit autrement : avec ce qui n’est que son deuxième film en tant que réalisateur, Paddy Considine frise le chef d’œuvre.

L’ « effet » de Tyrannosaur est remarquable. Paddy Considine parvient dans la durée à maintenir le spectateur dans un état permanent de veille anxieuse qui est le lot commun des deux protagonistes principaux. C’est une angoisse sourde qui noue le ventre, comme Hannah et Joseph la vivent, eux qui savent que le danger n’est jamais loin, tapi là où ils ne l’attendent pas. C’est si soudain quand ça frappe, c’est tellement violent que tout devient suspect, même la bonté, le calme ou la douceur. L’expérience de la vie a modelé les hommes ainsi. Joseph se méfie de la bienveillance gratuite d’Hannah. Quand de retour de cuite Joseph passe voir Hannah à sa boutique pour la deuxième fois, il prend prétexte de sa bonté pour l’humilier et la blesser verbalement. Car cette bonté le terrifie. Car il ne peut s’avouer qu’il est là pour être baigné du sourire chaleureux d’une inconnue qui ne lui doit rien et qui apparemment n’attend rien de lui. Hannah est une femme, et ce n’est que sous les coups du sort qu’elle en viendra à douter de sa foi, en Dieu et en l’homme. Que ce soit son mari, que ce soit cet homme brisé qui revient sans cesse à sa boutique de manière ambiguë, l’homme s’en prend à la femme car il ne se supporte plus lui-même. Il ne supporte plus de ne pas savoir offrir lui aussi ce qu’une femme offre en toute générosité. Un amour qui semble sans conditions, au-delà de toute limite. A l’endurance. Jusqu’à ce que la digue saute, et que l’homme soit effaré que la violence puisse être féminine aussi. Quand Joseph découvrira qu’Hannah détient en elle une violence à l’égal de la sienne, il restera à quelques mètres d’elles debout sur le seuil de la porte de son salon, interdit les bras ballants alors qu’elle l’implore de lui donner un peu de réconfort. Cet effarement le tient en respect, à la limite de l’empathie, à la limite de l’incompréhension.

Ce mouvement d’instabilité le spectateur le vit lui aussi au travers du film. A tout instant il se trouve sur ce seuil-là, effaré par l’impossibilité de trouver la paix véritable, dans la veille anxieuse de voir surgir la violence au détour d’une scène ou d’une image. Plus que l’histoire comme contexte, ce sont les choix de réalisation de Paddy Considine qui parviennent à produire cet « effet »-là. Concernant la photographie, un jeu de focale ou un travail spécifique sur la lumière ajoute souvent des événements visuels dans des cadres pourtant stables. Comme ce plan où la mise au point passe du visage de Joseph en premier plan au corps du voisin torse nu qui ne s’approche que s’il est accompagné de son chien tueur. Ou encore ce jeu avec les phares par exemple, où le visage d’Hannah assise dans la voiture semble littéralement giflé par l’ombre de son mari James quand celui-ci passe devant la voiture pour lui ouvrir ensuite la portière. Il peut être dit la même chose du cadrage et du montage. Ils permettent par du mouvement de faire intervenir des événements violents soit par effraction dans le champ à partir du hors champ, soit par indication sonore dans le creux d’un raccord habile de plans. Cela est particulièrement vrai dans la première grande partie du film. Mais surtout l’état de veille anxieuse est produit et entretenu par une rythmique particulière dans la narration : une syncope qui ralentit dans son mouvement d’ensemble mais de manière irrégulière. Les plages de faux calme apparent sont entrecoupées de moments d’extrême violence physique ou bien psychologique. Et d’un point de vue général, la fréquence de ces interruptions baisse tout au long du film, laissant le spectateur dans l’attente de la prochaine percée de violence dont pourtant il ne peut prévoir le moment exact de son surgissement. Ainsi toute la séquence d’introduction où Joseph va de provocation en provocation, où il détruit le peu qu’il lui reste, se joue sur un rythme de syncope accélérée. Il s’en prend à un être sans défense, il se bat dans un bar avec de jeunes couillons, il casse une vitrine de Pakistanais. Cette fréquence installe le climat de danger permanent avant de laisser place à toute la séquence où Hannah et Joseph commencent à se fréquenter. La narration alors accorde de plus en plus de place à la vie d’Hannah et permet qu’on s’introduise dans l’intimité de son couple. En montage parallèle on découvre aussi d’autres choses de Joseph, des éléments de son passé, ses liens affectifs. Les moments de calme trompeur sont alors plus longs, ce qui rend la violence quand elle surgit encore plus forte et incompréhensible. Elle atteint finalement son pic d’intensité, le point de non-retour dramatique qui suscite l’effarement de Joseph et la demande de pardon d’Hannah.

Les choix de Considine sont clairement efficaces eu égard au sujet qu’il traite. Mais plus encore ils démultiplient une impression générale que l’histoire en elle-même peut transmettre par ailleurs. Il y a dans l’usage des mots et des gestes un indéniable mélange de violence et de douceur, une capacité à faire surgir la violence à partir du calme et la possibilité de produire du calme après un certain type de violence. En tant que langage, le cinéma n’y coupe pas. La grande force d’une œuvre comme Tyrannosaur vient de la sensation finale que cet entremêlement peut être autre chose qu’une fatalité. Fruit du hasard ou de la destinée, il reste de la place à la volonté pour « monter » la violence avec la douceur et transcender les escalades implacables en une libération vers la stabilité.gg

Jacques Danvin

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Tyrannosaur de Paddy Considine (Royaume-Uni ; 1h31)

Date de sortie : 25 avril 2012

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