Jon Crosby aka Vast
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FocusVoici la petite histoire d’un de ces princes déchus de la pop music, dont la discographie est à l’image de l’indifférence que les médias leurs portent : royale.  Ainsi, à l’heure qu’il est, Jon Crosby est un (presque) inconnu alors qu’il devrait être une star du rock’n roll. Sa musique est abordable, brasse de nombreux styles et c’est un songwriter/chanteur de talent. D’ailleurs, pour être exact, Crosby l’a été, une star. C’était en 1998. Il jetait alors un pavé dans la mare sous le nom de V.A.S.T.*, sorte d’expérience mystique bercée de pop, de folk, de métal, d’électro et de world-music. Près de quinze années se sont écoulées depuis ce coup de maître et l’intérêt que lui portent critique et public est désormais réduit à peau de chagrin. En fait, avec le recul, il semble évident que sa carrière internationale ne pouvait pas aller beaucoup plus loin que son premier opus : c’était un disque trop gros, trop ambitieux, trop démesuré, trop acclamé pour un jeune homme de vingt deux ans seulement. Un succès fulgurant qui n’est sans doute pas innocent dans la structure atypique de son parcours musical depuis…

Des influences revendiquées (The Cure, Nirvana, Depeche Mode, U2) au moment de la sortie de V.A.S.T., Jon Crosby a conservé le talent d’écriture, la puissance, la rage et la mélancolie de leurs meilleures compositions. Mais à l’écoute de son premier album éponyme, bien malin qui aurait pu citer de tels noms, VAST ayant immédiatement développé un son éminemment personnel, au lyrisme non feint, qui doit beaucoup à l’utilisation de samples grandiloquents (issus de chœurs de moines tibétains et autres chants bulgares) et de cordes lyriques. On sait que l’évocation de tels procédés peut faire peur mais jamais Crosby n’a sombré dans le new-age bon marché. Son chant possédé, aussi bon dans le registre de la caresse que du hurlement, ne laisse aucun doute sur l’honnêteté de son implication, c’est avec les tripes qu’il livre ses pensées les plus personnelles ; et ses mélodies sont tellement saisissantes qu’on se dit que les frissons ressentis à leur écoute ne sont pas dus à autre chose qu’un réel talent de compositeur.

Très vite, cette image dangereuse d’équilibriste, Jon Crosby s’en sépare. Il a rencontré avec V.A.S.T. un succès public et critique pour le moins inattendu (si l’on en juge par sa musique très typée, ne ressemblant à aucune autre tant elle balance entre des styles très divers) et il ne souhaite apparemment pas se contenter de cette entrée en fanfare. Il veut s’installer dans la cour des grands, ces artistes universels qui déplacent des foules. Ainsi, plus qu’un hommage au Music for the Masses de Depeche Mode, le titre de son deuxième disque, Music for People (2000), fait passer un message très clair : VAST a l’intention de devenir quelque chose d’énorme. Ça tombe bien, Jon Crosby se donne les moyens de ses ambitions en proposant un album moins éclaté, resserré sur un axe purement pop autour duquel se déroule un même sixième sens mélodique, avec moins de grosses guitares, moins de samples déroutants et plus de séduction. Chaque chanson de Music for People est ainsi un tube en puissance, et quand on pense que l’entourage (maison de disques, chargés de promo etc.) de l’époque n’a pas su voir d’autre single que le calibré « Free » à faire tourner sur les radios et MTV, il y a de quoi être franchement découragé.

La direction prise par Crosby entre ces deux premiers disques est un bon élément de compréhension pour l’ensemble de sa carrière. Son changement de cap de l’époque laisse entrevoir un homme visiblement orgueilleux, tourmenté entre ses questionnements intimes (sexualité et religion sur V.A.S.T.) et son évident potentiel commercial, qui prend toute sa mesure sur Music for People. Sur chacun de ses disques ou presque l’américain dévoilera désormais ces deux facettes. Dans ces circonstances, on peut imaginer que le flop de Music for People (soldé par une éviction sans sommation de la major qui a fait ses beaux jours, Elecktra) a dû être vécu par Crosby comme une humiliation. On peut d’autant plus le penser qu’il lui a fallu quatre ans pour surmonter cet échec et sortir un nouvel album. En 2004, l’américain a alors vingt huit ans et ses rêves de gloire ne sont visiblement pas éteints si l’on en juge par la teneur de Nude, sorti la même année.

Nude est le fruit de ce désordre personnel : Crosby semble encore y croire (au succès) mais sans grande conviction. On y retrouve quelques samples lyriques, des hymnes comme il sait si bien les trousser (« Thrown Away », « Turquoise »), mais en même temps on sent que la production lissée l’intéresse moins. Alors il se laisse aller et se fait ses petits caprices après une première partie d’album « traditionnelle ». Lo-fi, dub, électro-cheap et folk se côtoient sans grand lien logique mais ne laissent pas de surprendre encore aujourd’hui par leur liberté de ton. Cette liberté, Crosby ne s’en séparera plus après l’avoir goûtée : il fonde dans la foulée sa maison de disques, 2Blossoms, et se détache alors de toute obligation commerciale. Le résultat est un abandon complet de toutes sortes d’effets qui ont pu faire son succès auparavant : le son est désormais sec, essentiellement acoustique laissant parler son seul talent d’écriture. Le masque est tombé.

On ne s’étonnera donc pas de retrouver dans April (2006) une plus grande unité de ton que dans Nude. Pour autant, ce quatrième album semble d’abord un peu dépourvu de personnalité. Mais c’est parce que Crosby y dévoile désormais un visage plus doux, à la mélancolie plus apaisée, et qu’on pourrait juger au départ, et à tort, comme fade. Certainement conscient de la radicalité de son changement, il décide de manière passagère de sortir ses disques sous son patronyme. C’est la série des Generica dont les trois premiers volumes sont proches de l’ascétisme : une guitare acoustique, un violoncelle et c’est tout. La formule est belle, et derrière les mélodies, souvent irréprochables, on entend un homme aux aspirations de bonheur simple, loin de ses préoccupations mystiques et sexuelles des débuts. Cette rusticité dans le fond et la forme est presque toujours confondante, parfois à la limite de la mièvrerie. Mais à ce stade on connaît l’animal : sa manière de se livrer (la délicatesse de son écriture, la foi qu’il met dans son chant) prend le pas et on est conquis. Les volumes IV et V de la série reprennent certaines chansons des trois premiers, accompagnés de l’orchestre habituel de Crosby, laissant une fois de plus apparaître le potentiel radiophonique évident de ses compositions huilées.

Sous cet angle, le retour au son VAST aurait pu sembler violent. Mais le come-back, en 2008, se fait déguisé, et sous la forme d’un EP de six titres. Sous le nom de Bang Band Sixxx (concept fumeux de vrai-faux groupe signé sur un vrai-faux label appelé, on vous le donne en mille, VAST) Jon Crosby réalise en fait un pur produit estampillé VAST, tous synthés dehors. C’est parfaitement réjouissant, efficace en diable, mais le suicide commercial est évident : qui va s’intéresser à un EP d’une part, obscur projet que d’aucuns qualifieraient de délire d’autre part ? Personne bien sûr, si ce n’est la communauté de fans de Crosby, ce qui semble désormais suffire à son bon plaisir (« loneliness is fine » clame-t-il dans l’un des meilleurs titres de ce Relay EP). On aurait pu penser que cette parenthèse annonçait un retour en bonne et due forme au déluge sonique des débuts mais que nenni, le dernier album de VAST, Me and You (2009) est à ce jour un disque bâtard, acoustique de nouveau, et qui reprend un peu paresseusement quelques standards parus sous son patronyme avec Generica. L’intérêt est nul si ce n’est pour les collectionneurs et les non-avertis qui n’auraient pas suivi l’homme dans ses pérégrinations…

A ce jour Jon Crosby enregistre un nouvel album de VAST, et bien malin qui saurait dire lequel des deux cerveaux parlera : celui à l’égo blessé, éternel amoureux écorché vif, ou l’orgueilleux colérique, éternellement séduisant ? Un peu des deux comme d’habitude, sans doute. En tout cas on a hâte !

*Visual Audio Sensory Theater

François Corda

Showing 4 comments
  • Inter'

    Bel hommage, un talent hors classe, tout ça n’a pas suffit mais bon, qui nous dit que le succès l’aurait conduit à pondre des disques aussi bon???

  • Wilyrah

    Un artiste méconnu. C’est bien dommage, la discographie de VAST est faite de petites perles. Nude, April, V.A.S.T sont des albums remarquables. J’attends donc le nouvel album avec impatience et curiosité. Merci pour ce bel hommage 🙂

  • koraly

    Merci merci merci Billy !! Ultra fan de Crosby, je cherche perpétuellement et attends toute info concernant VAST et Jon Crosby. Dieu que Seattle est loin de la France ….

  • Reg

    Fan de la 1ere heure, je suis triste de voir que ce groupe et ce chanteur ne connaissent pas le succès qu’ils méritent amplement, notamment en Europe. Il reste toujours la possibilité de suivre son actualité sur facebook. Dans l’attente impatiente de son prochain album…

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