Les adieux à la reine
Benoît Jacquot

EnterreDans sa globalité, le nouveau film de Benoît Jacquot est assez catastrophique. Il s’apparente plus à du théâtre filmé qu’à une œuvre de cinéma proprement dit. Pire encore, il semble rejouer le mariage impossible de ces deux modes de présentation (ou de représentation) que sont le cinéma et le théâtre. Pourtant, dans Les Adieux à la reine, au sein de cette histoire d’amour sur fond de Révolution française, entre une capricieuse reine de France destinée à la guillotine et son amante égoïste, se trouve un détail qui permet de nuancer le jugement. Il y a en fait une idée loin d’être anecdotique que ces Adieux à la reine mettent en valeur.

Le détail qui permet de nuancer le jugement, c’est un plan faussement gratuit. Il montre la duchesse Gabrielle de Polignac (Virginie Ledoyen), découverte dans son lit par la lectrice de la reine Sidonie Laborde (Léa Seydoux), totalement nue et lascivement endormie. Et selon les angles de lecture qu’on choisit, ce plan change de valeur du tout au tout. Tant qu’on s’en tient au déroulé de l’histoire, ce plan semble facile. Il n’apporte rien narrativement, et d’un point de vue psychologique il ne fait que confirmer une évidence. L’amante de Marie-Antoinette est un personnage d’une grande indépendance et qui aime à se soustraire aux caprices de la reine (Diane Kruger). Quand Sidonie soulève le drap et dévoile la nudité de Gabrielle, elle ne fait rien d’autre que vérifier la beauté captivante qui ravit sa monarque et la rend folle d’amour. A ce moment-là du film le plan paraît même un peu voyeur tant la scène précédente où la reine se confie à Sidonie avait déjà tout dit sans rien montrer de l’objet de sa passion.

Mais en fait ce n’est sans doute pas un hasard si ce plan de beauté plastique succède rapidement à la théâtralité marquée des aveux de la reine. Car rien dans ce film n’est plus logiquement et justement théâtral que le personnage de Marie-Antoinette. De par sa fonction dans le système de cour versaillaise elle est toujours en scène, sur les planches de la vie royale, sous le regard permanent de toutes ces femmes qui la servent et l’observent. Le jeu de Diane Kruger à cet égard est parfait, toujours à la limite de l’excès, le visage à l’expression toujours mobile, changeante. Il est alors frappant de voir dans ce montage de séquences une opposition saisissante. Si Marie-Antoinette est sous l’œil de Jacquot l’incarnation même de la théâtralité, Gabrielle à l’inverse tend à n’être qu’une pure image. Aux mouvements et sautes d’humeur, à la vanité et surtout à l’expressivité émotionnelle toujours en excès que propose Diane Kruger en reine, Virginie Ledoyen offre au contraire une plastique ciselée aux déplacements calculés et une lascivité dans la voix et le geste qui ressort d’une intériorité cinématographique.

Or dans cette histoire de femmes où les hommes sont périphériques, seules Marie-Antoinette et Gabrielle de Polignac trouvent une justesse de ton. Elles se démarquent notamment de tous les autres personnages féminins, de cet ensemble qui va de la lectrice Sidonie Laborde à Mme Campam en passant par Honorine et Louison. Ces dernières semblent être en porte-à-faux, coincées entre deux nécessités contraires : la présence théâtrale que réclame le contexte narratif (pratiquer le parler d’époque, user d’un niveau de langue propre à l’aristocratie alors qu’elles ne sont que des roturières) et la recherche d’effets de cinéma relatifs à la situation de tournage (l’utilisation du gros plan qui incite les visages à beaucoup plus intérioriser l’expression). Cet écart problématique pourrait être expliqué par la qualité des actrices. Mais ce serait facile et par trop expéditif, surtout quand on voit que Mme Campam est interprétée par Noémie Lvosky qui sait si bien être « incisive » et inoubliable sur des modes pourtant très différents dans Le Skylab ou L’Apollonide par exemple.

Or quelque chose fonctionne vraiment lorsque Marie-Antoinette est là et/ou quand Gabrielle apparaît. Comme l’indique le détail évoqué plus haut, cela relève en fait des statuts de ces personnages au sein du registre de représentation choisi par Benoît Jacquot. Ils figurent respectivement la théâtralité et l’image cinématographique, ces deux pôles qui semblent si difficiles à marier. La meilleure scène du film où ces deux personnages-figures se parlent enfin, mais pour la dernière fois, ne dit pas autre chose. Un équilibre entre théâtre et cinéma peut être trouvé, mais il est rare et semble même être fortuit, fruit de l’incompréhension. Eric Rohmer dans L’Anglaise et le Duc avait su marquer une distance entre théâtre et cinéma par une idée brillante : il s’agissait grâce au numérique d’incruster en post-production ses personnages dans de véritables tableaux peints par des maîtres de l’époque et montrant les rues de Paris. Cette distance rendait alors la présence théâtrale opérante et captivante au cœur même du régime cinématographique. Quand on compare avec Les Adieux à la reine, on peut voir que Jacquot ne propose quant à lui aucun véritable dispositif permettant quelque chose de similaire. Son souci du détail historique que démontre la reconstitution minutieuse de l’époque l’emprisonne dans un cadre étouffant que l’astuce de Rohmer avait su elle déjouer avec brio. La distance manque à cette idée pourtant toujours passionnante de concilier théâtre et cinéma. Mais ici, Les Adieux à la reine signent surtout un mariage un peu forcé.

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Jacques Danvin

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Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot (France, Espagne ; 1h40)

Date de sortie : 21 mars 2012

bub

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Comments
  • Wilyrah

    Je n’ai pas été convaincu non plus par ce film historico-fictif. Cela ne fonctionne pas.

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