38 témoins
Lucas Belvaux

EnterreIl y a dans 38 témoins un personnage qui à lui seul résume bien le film dans ce qu’il a de particulièrement fort mais aussi de particulièrement manqué. Ce personnage, c’est Louise, vrai-faux premier rôle monolithique qui ne trouve jamais vraiment son style dans une histoire où tout s’avère instable et clivant. Sans cesse décalée, sans véritable intelligence, Louise subit pathétiquement un récit pourtant gorgé d’enjeux au potentiel exceptionnel.

Louise (Sophie Quinton) est d’abord fonctionnelle, elle permet d’introduire l’intrigue avec une certaine efficacité. Son personnage répond à l’élégance bienvenue du générique d’intro. De retour de Shangaï où elle représentait son entreprise de fret maritime, elle découvre qu’a eu lieu la nuit précédente un assassinat à l’arme blanche dans sa rue. Le spectateur s’introduit alors dans l’intimité du couple qu’elle forme avec Pierre (Yvan Attal), pilote de cargos dans le port du Havre. A ce moment-là du film l’économie narrative se transforme progressivement et le regard de Louise d’abord central perd de sa primauté. Son point de vue se dilue alors dans un ensemble de regards d’enquêteurs. En plus de profiter des points de vue partiels du capitaine Léonard (François Feroleto), de la journaliste Sylvie Loriot (Nicole Garcia), et du procureur Lacourt (Didier Sandre), le spectateur assiste en toute indépendance à une scène étonnante qui marque le tournant du film. Pendant que Louise dort profondément, Pierre assis près du lit passe aux aveux sans qu’elle ne se réveille : comme tout le laissait à penser depuis le début du film, Pierre a évidemment tout entendu cette nuit-là de l’assassinat, et il n’est pas intervenu, il n’a rien fait.

Commence alors un deuxième acte où la culpabilité de Pierre devient le moteur narratif et l’enjeu moral du film. Son choix d’aller parler à la police met tout en crise : le voisinage des 38 témoins qui ont tous prétendu n’avoir rien entendu pour cacher leur honte de n’avoir rien fait ; la conscience policière, journalistique et judiciaire qui se demande s’il faut que leur lâcheté soit révélée à l’opinion publique. Louise dès lors n’est plus qu’un faire valoir encombrant qui ne peut pas comprendre ce qui la dépasse. Ce qui est alors terrible et pathétique, c’est la manière qu’a choisi Lucas Belvaux de la laisser subir tous les événements, comme la dépression et les longs soliloques monotones de Pierre. Il ne laisse à ce personnage féminin aucune possibilité de s’adapter vraiment à la nouvelle situation qu’elle vit avec Pierre. Ce que sa mise en scène illustre d’ailleurs parfaitement. Aucun changement formel n’accompagne les reconfigurations psychologiques des liens entre les différents protagonistes. Finalement, le film trouve en Louise une image de ce qu’il est. Tant qu’elle ne réalise pas, Louise surjoue et ne propose à Pierre que l’oubli plutôt que le pardon. Perdu dans ses changements de points de vue et enlisé dans une sorte de logorrhée statique, le film n’arrive pas à se réconcilier avec lui-même.

Sauf que Louise devra réaliser quand même ce qui s’est passé cette nuit-là, malgré elle, pendant le sommet formel et dramatique de 38 témoins : la reconstitution finale de la scène du crime par la police. Louise, accompagnée des enquêteurs et du spectateur épouse alors le point de vue de Pierre et de tous les témoins. Elle entend les cris de la victime, dans leur durée intolérable. Un bref instant, tous ceux qui n’étaient pas là le soir du drame deviennent eux aussi témoins, obligés d’imaginer ce que cela a dû être de tout entendre sans bouger. Et c’est là que les choix de Lucas Belvaux, même si cela arrive bien tard, paraissent enfin justes. Pendant toute la reconstitution de la scène l’action est en hors-champ, et le son fait effraction en violentant chaque témoin qui en reste littéralement tétanisé. Cette révélation brutale désempare Louise qui n’a d’autre choix que de s’enfuir car elle ne peut s’empêcher de juger Pierre. Elle désempare aussi le spectateur qui vient à peine de saisir l’enjeu fondamental d’un film qui ne trouve sa justesse qu’en affrontant enfin l’intolérable non-dit, non-vu, non-ouï.mm

Jacques Danvin

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38 témoins de Lucas Belvaux (France ; 1h44)

Date de sortie : 14 mars 2012

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