MARTHA MARCY MAY MARLENE
Sean Durkin

EnterreLe film Martha Marcy May Marlene est à l’image de son titre : inconfortable et très logique. Malgré l’élégance de la mise en scène et quelques acteurs bluffants, malgré une histoire se réduisant finalement à peu d’éléments, le film demande systématiquement un effort rationnel pour être expliqué et compris. Ce manque d’évidence pour le spectateur sème le doute sur le style choisi dans cette œuvre. Au-delà, il pose même question sur sa finalité. Tentative d’explication du titre, donc du film et de tout ce qui s’ensuit.

Pour se rappeler le titre et l’énoncer correctement, il faut un moyen mnémotechnique lié à l’histoire du film. Car il faut mélanger les deux identités de l’héroïne. D’un côté, il y a Martha Marlene, celle qui s’appelle ainsi pour sa sœur et son beau-frère, et pour la société civile. De l’autre, cette même jeune femme est Marcy May pour sa « famille d’adoption », la secte de laquelle elle s’est enfuie. Et en les mélangeant dans le titre, il faut de plus veiller à une autre chose très symbolique : il faut encadrer l’identité nouvelle (Marcy May) par celle de la naissance (Martha — — Marlene). C’est-à-dire qu’il faut mimer l’état psychologique de l’héroïne, il faut faire de Marcy May ce qui dans l’intimité la plus profonde de Martha la protège et la sépare de sa famille, la famille Marlene, avec qui le lien semble brisé. « Martha Marcy May Marlene » est un personnage divisé, et en souffrance permanente. Car d’un côté ce qui la protège de ses souffrances familiales, l’accueil par une nouvelle « famille », ne se fait qu’au prix d’une autre violence. Et le retour dans le giron familial d’origine ne peut se faire que dans l’incompréhension, malgré toutes les bonnes volontés. Martha ne trouve jamais sa place, son parti. Elle est dans l’inconfort le plus total, incapable de s’ouvrir, de se trouver.

Pour rendre compte de cette division et de son inconfort, Sean Durkin a choisi comme pour le titre de mêler deux régimes renvoyant à deux états distincts, mais en les mettant un peu au même niveau. D’un côté l’état présent de Martha qui vient de s’échapper de la secte qui l’avait accueillie. L’action et l’état psychologique de Martha y sont rendus de manière directe à l’aide d’une photographie nette et des énergies assez changeantes (par exemple la ballade sur le bateau à moteur avec son beau-frère). De l’autre côté, les souvenirs de l’époque révolue où elle vivait aux Catskills avec la communauté, et présentés avec une photographie peut-être légèrement plus saturée et floutée. Le rythme dans l’image y est un peu plus diffus et continu, ce qui contribue à rendre peu différenciées les scènes de labeur de celles de détente. Elles deviennent comme interchangeables, on peut presque indifféremment jardiner devant la grange ou s’y allonger pour écouter les hommes improviser des chansons folk de leur composition. Or la façon qu’a choisie Sean Durkin de monter ensemble ces deux régimes pose problème. S’ils s’enchaînent invariablement sous la forme d’un clignotement, c’est parce que le présent rappelle le passé, puis le chasse ou le recouvre. Un bruit de marteau de l’autre côté du lac où habitent sa sœur et son beau-frère fait ressurgir de manière classiquement proustienne un souvenir des Catskills. Une mouche se fatiguant contre une vitre provoque la réminiscence d’une autre scène enfouie commençant formellement sur une fenêtre. Souvent la voix de Lucy, sa sœur, ou celle de son mari viennent rompre le charme. Ce procédé a le mérite d’être très logique et de servir parfaitement l’effort rhétorique de la réalisation. Il permet en effet de délivrer les informations psychologiques et dramatiques nécessaires à une compréhension extérieure de la situation. Le spectateur comprend ainsi progressivement l’ampleur de la souffrance et de l’impasse dans lesquelles Martha est bloquée. Mais ce procédé est parfaitement trompeur. Il ne donne qu’une illusion pure d’échange ou de dialogue entre des moitiés que l’histoire ne fait que maintenir strictement séparés : les deux moitiés d’une même femme, ou encore Martha et sa sœur, Marcy et ses compagnons des Catskills… Entre ces moitiés toute parole commune est impossible.

Martha Marcy May Marlene est un film-personnage divisé, et qui se déploie dans un faux confort formel. Si son titre s’écrit sans trait d’union, ce n’est sans doute pas un hasard. Dans ce film la parole n’est pas possible, et toute jonction sonne comme un artifice.gg

Jacques Danvin

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Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin (Etats-Unis ; 1h41)

Date de sortie : 29 février 2012

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