émilie simon
franky knight

RevueL’histoire de la pop est parcourue d’anecdotes tragiques qui planent sur certaines œuvres et nous appellent à les percevoir différemment*. Franky Knight d’Émilie Simon est de ces disques là, ce dernier ayant été composé en l’honneur du compagnon de la chanteuse, décédé brusquement en 2009 des suites de la grippe A. Plutôt que d’insister comme de nombreux journalistes sur la parenté très contestable entre la française et les icônes Björk et Kate Bush, nous vous proposons un petit tour d’horizon des critiques qui peuvent nous aider à mieux comprendre pourquoi cet album n’est définitivement pas comme les autres.

Philippe Brochen, de Libération, n’hésite pas à dire que Franky Knight peut « inspirer une certaine gêne »,  que l’on « a souvent le sentiment de pénétrer une intimité qui ne nous regarde pas. » C’est une question qu’il fallait se poser, chaque critique du disque ne pouvant s’empêcher de rappeler un fait qui tient du domaine privé et non pas artistique. Doit-on voir à cet égard une forme d’impudeur de la part d’Emilie Simon ? D’après Valérie Lehoux (Télérama), la réponse est sans appel : « il n’y a aucune exhibition dans ces chansons-là, aucune démonstration de douleur […] ».

Il est vrai que, tant dans la musique que les mots, Emilie Simon a eu l’habileté de ne pas se complaire dans des teintes tristes, dans la lamentation gratuite. C’est ce que défend Valérie Lehoux quand elle dit que  « sa mélancolie [celle de Simon] est certes habitée par la perte, mais aussi par le bonheur d’une rencontre dont les feux ne se sont pas éteints ». Cela se ressent à travers les « climats plus organiques » évoqués par Didier Varrod, chroniqueur sur France Inter. Ces climats organiques « cherchant à colmater les gerçures des textes avec des combinaisons d’instruments chaleureux comme les cuivres ou les bois, le piano, la basse et la batterie joués en mode calfeutrés et quelques enluminures discrètes d’harmonium, de xylophone et furtivement de cordes ».

Si ce grand écart entre l’origine du disque (la mort de l’être aimé) et son traitement (la légèreté) évite sans doute au disque de sombrer dans l’impudique, on ne peut nier que lorsqu’on connaît les faits, le dénommé Franky « […] hante chaque mot, chaque tonalité de par sa présence bienveillante et chevaleresque » comme le souligne Saab, sur son blog With Music in my Mind. Cette omniprésence plonge l’auditeur dans le réel, lui rappelle sans cesse dans quelles conditions l’album a été réalisé, et l’on peut légitimement penser que c’est en partie cette réalité de la douleur qui touche directement le cœur de l’auditeur. Autrement dit, parce qu’Emilie Simon ne simule pas ses sentiments, n’est pas dans la posture, cela confère à ses chansons une dimension supérieure.

La dimension en question ne serait-elle pas celle de l’universalité ? Difficile en effet de ne pas se sentir touché par une relation amoureuse interrompue par une mort injuste. Pour Didier Varrod, Emilie Simon est clairement parvenue à « conjuguer des sentiments universels avec d’autres infiniment plus personnels ». Et c’est sans doute aussi cela qui rend ce disque si particulier. Pierre Loosdregt d’Etat-Critique éclaire cette notion d’universalité différemment en soulignant que l’on trouve dans la musique d’Emilie Simon quelque chose en rapport avec l’état d’esprit des studios japonais Ghibli (Le Voyage de Chihiro). Ce quelque chose pourrait d’ailleurs définir Franky Knight : d’après Pierre Loosdregt ce serait une forme de « candeur [qui] cache une vérité ». On le rejoint totalement.

*on pense à Ultra de Depeche Mode, par exemple, dont l’enregistrement a été ponctué par les allers-retours du chanteur entre sa cure de désintoxication (rendue obligatoire après une courte mort clinique suite à une overdose) et le studio. On pense aussi à l’Electro-Shock Blues de Eels écrit après les décès successifs de la sœur (suicide) et de la mère (cancer) du compositeur Mark Everett.

François Corda

 

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François Corda

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