JEANNE CAPTIVE
Philippe Ramos

DeterreC’est un film incroyable. On a beau se dire que Philippe Ramos se paye un peu notre tête avec cette esthétique ostensiblement numérique, ses images ostensiblement pas faites pour être ralenties et ses dialogues ostensiblement pas crédibles, c’est une impression forte que laisse cette petite chose difforme et lumineuse.

Il faut donc enquêter. Commençons avec Clémence Poésy, Jeanne dans le film, captive d’un seigneur cupide et bientôt des Anglais. Pas très convaincante quand elle parle à Dieu ou qu’elle décide de ne plus parler aux hommes. Sa peau, au contraire, constellée de grains de beauté, apparaît comme une lande veloutée où habite Dieu lui-même : elle vit avec le soleil, et des femmes la lavent calmement comme elles ont dû laver le Christ quelques siècles plus tôt. Cette peau, c’est aussi celle d’une défunte, évoquée par le médecin toujours amoureux qui soigne Jeanne. Cette peau renaît à la fin du film, prise en charge par une autre femme, inondée de soleil, nue auprès d’un lac. Cette peau, la manière dont elle est filmée, c’est la première chose incroyable.

La seconde tient à l’angle adopté par le réalisateur, qui décide d’aborder un moment de la vie de Jeanne d’Arc par ses marges. C’est-à-dire : le geôlier qui parle au Christ, le médecin qui produit du miel, le capitaine Anglais qui n’aspire qu’à rentrer chez lui, le menuisier qui construit le bûcher, le moine naïf qui veut sauver Jeanne, l’ermite qui veut aussi, et qui assiste finalement à la dispersion des cendres dans le lac d’à-côté. Ribambelle d’hommes errants qui disent Jeanne d’Arc par leur regard sur elle et qui disent aussi le choix du film pour cette errance face à une institution (l’Eglise), qui ne veut pas que l’on se détourne d’elle. A ce titre, les personnages de Ramos semblent avoir tous les défauts que l’Eglise reproche à Jeanne : menteur (le médecin), superstitieux (l’Anglais), présomptueux (le moine), voire schismatique (l’ermite). C’est une autre chose incroyable que de faire sentir à ce point la beauté et la révolte dans l’histoire de Jeanne d’Arc, sans qu’il y ait besoin de passer par elle.

Au final, pourquoi ce numérique un peu « pauvre » du film de Ramos ? Pourquoi cette négligence formelle que l’on sent du début à la fin ? C’est peut-être un problème plus ample que pose ce film, intentionnellement ou pas : ressent-on les mêmes choses au cinéma quand l’image n’est pas brûlée, quand la caméra ne bouge pas comme dans une vidéo amateur, quand les acteurs ne sont plus que les personnages qu’ils jouent ? Bref, quand tout y correspond à l’image que l’on se fait d’une manière bien propre sur soi de faire du cinéma ? Pas sûr, à ce titre, que le film de Ramos ne puisse pas être autre chose qu’un film sur Jeanne d’Arc : une douce parenthèse anarchiste, un modèle pour qui interroge l’institution sous quelque forme qu’elle soit.g

Marc Urumi

bub

———

Jeanne Captive de Philippe Ramos (France ; 1h30)

Date de sortie : 16 novembre 2011

bub

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.