Hors Satan
Bruno Dumont

—-DeterreHors Satan est totalement un film de Bruno Dumont. Et s’il l’est totalement, ce n’est pas forcément pour sa thématique spirituelle (un gars étrange doté du don de chasser le diable des corps). Non. S’il l’est totalement, c’est parce qu’il ne déroge pas à la règle de son cinéma : c’est l’esprit qui commande. Comme ses prédécesseurs, ce film porté par une pensée indéniablement singulière en subit aussi le poids. Car cette pensée qui l’anime jusque dans ses moindres détails, qui par moments l’illumine, l’étouffe aussi parfois sous son omniprésence. A ce jeu de contrepoids entre l’esprit-souffle et l’esprit-tyran propre au cinéma de Dumont, Hors Satan ne s’en tire pas trop mal. Pas aussi bien que L’Humanité, certes. Mais en tout cas bien mieux qu’Hadewijch.

Le meilleur dans Hors Satan, là où l’esprit devient un souffle poétique d’une évidence captivante, c’est dans l’approche formelle des lieux et des corps qui les traversent. Il n’est pas dans ce film un plan de paysage qui ne porte la marque de la mise en scène de Dumont. Tous ont valeur de signes clairement choisis pour ce qu’ils apportent à l’économie symbolique du film. Certains par exemple semblent indiquer un passage (le chemin dans les bois en contre-jour, la marche recroquevillée dans des fourrés), d’autres la séparation de deux mondes (la côte dont on ne s’approche pas vraiment, le plan d’eau stagnante coupé en deux par la petite digue de béton sur laquelle la fille marche) et d’autres enfin leur perméabilité (l’horizon brouillé de brume rendant indistincte la frontière entre ciel et terre, les fumées noire d’incendie dont la chaleur extrême déforme l’image au-dessus des zones herbeuses du marais). Tous ces plans de paysage, formellement splendides, sont autant de signaux pour indiquer les autres frontières symboliques avec lesquelles joue le personnage principal de l’histoire. Le gars joue avec la vie et la mort, avec le diable et l’amour, avec le droit qu’il s’arroge et la justice des hommes. Il y a là une cohérence remarquable qui fait une grande part de la valeur du film.

Mais dans Hors Satan il y a le pire aussi, là où l’esprit devient un tyran qui à force de vouloir tenir les rênes en vient à vider l’image de tout souffle. C’est le cas par exemple quand on sent les acteurs suivre des instructions non spontanées pendant la prise de vue (comment le gars et la fille se rapprochent et baissent les yeux ensemble juste après la mort du beau-père), quand on entend certains choix de mixage son qui sonnent comme un désaveu incompréhensible de l’image (la prise de son intimiste des souffles et des pas des acteurs qu’on voit traverser au loin les paysages), ou encore quand le montage et la mise en scène se chargent de produire l’émotion à la place des personnages et pour eux (la colère avec force éclats de voix de la fille après la mort du daim, qui jaillit de nulle part dans un raccord de plans faisant apparaître non pas le personnage mais un corps de jeune femme portant les signes-stigmates de la colère). Dans ces moments-là on s’ennuie car le souffle retombe sous l’empire de l’esprit et ne montre que sa propension à vouloir tout maîtriser.

Hors Satan est au bout du compte un des meilleurs films de Bruno Dumont car l’esprit qui le gouverne y est plus souvent souffle que tyran. Et par sa manière de rejouer clairement en lui et par lui la lutte de l’esprit avec lui-même, il rappelle ô combien ce cinéma est singulier.gg

Jacques Danvin

bub

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Hors Satan de Bruno Dumont (France ; 1h49)

Date de sortie : 19 octobre 2011

bub

Showing 2 comments
  • Marielle

    J’ai vu, j’ai lu. Intéressant de voir que ce que vous formulez comme critique ne m’a pas gênée le moins du monde : j’ai totalement accepté la dimension non-réaliste du propos et de la direction d’acteurs, très précise je pense. Je trouve que Dumont a le courage de pousser loin sa recherche, c’est si rare !

  • Bobi

    Je suis d’accord avec vous pour dire que Bruno Dumont a du courage de mener sa barque avec tant d’exigence et de radicalité. Pour cela il est important dans le paysage actuel, c’est certain. Mais pour ma part je trouve que dans ce film précisément, sa direction d’acteurs n’atteint pas l’état de grâce de l’Humanité. Peut-être est-ce une question de personnes aussi : Emmanuel Schotté qui incarnait Pharaon avait (peut-être malgré lui) cette distance ahurie qui semble déjouer toute véritable emprise de la mise en scène.

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