Bertrand Betsch
interview

nsbpRevueA l’occasion de la sortie du très beau Le Temps qu’il Faut paru le 10 octobre 2011 sur 3H50, Bertrand Betsch a bien voulu répondre à nos questions.

  1. Cinq ans depuis La Chaleur Humaine, c’est long non ? Qu’est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps ?

La chaleur humaine est sorti en 2007. Cela fait donc quatre ans. Est-ce que c’est long ? Oui. Interminable. Cela étant dit je commence à avoir l’habitude. Sortir chacun de mes albums a toujours été un chemin de croix. Par exemple il s’est passé sept ans entre le moment où j’ai commencé à enregistrer l’album Pas de Bras pas de Chocolat (2004) et sa sortie chez EMI. Début 2008 j’ai présenté à PIAS (chez qui j’étais pour La Chaleur Humaine) le projet terminé de l’album Le temps qu’il faut. Le projet n’a pas eu l’heur de leur plaire et ils m’ont rendu mon contrat qui courait sur quatre albums. Le patron de PIAS France qui m’a viré (sans bien sûr me le dire en face) a été remercié par la suite. Comme quoi il y a parfois une justice. Je me suis donc retrouvé sans label. Mon éditeur de l’époque (Stricly Confidential) a fait le tour des maisons de disques et toutes nous ont opposé une fin de non-recevoir. L’année 2008 a été pour moi une annus horribilis. Je me sentais lâché de toute part. Plein de gens m’on tourné le dos. J’ai plongé dans la déprime et n’ai plus touché un instrument pendant des mois. Je vivais alors à Bruxelles, ville anxiogène au possible au sein de laquelle je ne connaissais quasiment personne. En janvier 2009 je me suis remis au travail et ai écrit et enregistré des dizaines de chansons (certaines en collaboration avec Nathalie Guilmot), lesquelles paraîtront j’espère dans les années à venir. En octobre 2009 je me suis retrouvé sans un sou. Je suis donc rentré chez mes parents en banlieue parisienne, me suis inscrit dans une boîte d’intérim. Le lendemain je commençais une « mission » dans une entreprise de la grande distribution du livre sans savoir que celle-ci allait durer un an. Au delà de la pénibilité du travail, j’ai côtoyé « la France d’en bas », ces gens qui vivent avec le SMIC, ces gens dont l’humilité, le courage et la belle camaraderie ont remis sérieusement en question ma misanthropie. A l’été 2010 un certain Baptiste Lusson me contacte pour me dire qu’il aimerait travailler avec moi. Il commence par me faire un site tout beau tout neuf (bertrandbetsch.fr). Puis il se propose de devenir mon manager. Enfin, en septembre, nous prenons la décision de fonder notre propre label (3H50) dont nous serons co-actionnaires et dont Baptiste assurera la gérance. Baptiste ne tarde pas à me demander des inédits pour alimenter le site. Je lui envoie douze morceaux qui traînaient dans mes stocks. Il en fait illico presto un album intitulé Je Vais au Silence (2010), lequel sera la première référence du label et ne sera disponible que sur le net. A noter que l’album ressort ces jours-ci, masterisé et avec une nouvelle pochette signée Stéphane Merveille. Puis je remets la main par hasard sur des inédits issus des séances d’enregistrement de La Soupe à la Grimace (1997) et nous les publions à nouveau sur le site (cette fois-ci en téléchargement gratuit) avec une pochette signée aussi Stéphane Merveille, photographe au talent immense et avec lequel je développe une collaboration au long cours. Ensuite nous repartons sur le projet Le Temps qu’il Faut. Benoit Destriau (mon fidèle ingé son scène) finalise les mix puis nous masterisons l’album. Enfin Baptiste décroche un contrat de distribution avec MVS Anticraft et la date du 10 octobre 2011 est posée pour la sortie de l’album. Baptiste Lusson est clairement à l’origine de ma renaissance. C’est lui qui m’a remis en selle. Je lui suis infiniment redevable.

  1. Etes-vous nostalgique de cette époque où le succès vous ouvrait les bras, avec l’album Pas de Bras, pas de Chocolat ou vous vous sentez-vous mieux dans cette petite structure ?

C’était chouette au sens où j’avais une vraie visibilité médiatique grâce à EMI. L’accueil fut très bon. J’ai été sélectionné pour le prix Constantin, j’ai fait les Franco de La Rochelle, Les nuits du Botanique et d’autres choses plus ou moins prestigieuses. J’avais le sentiment d’exister enfin dans le milieu. Tout le monde me disait que j’allais exploser mais finalement, malgré le mini-tube « Pas de Bras, pas de Chocolat », l’album n’a pas très bien marché. Aujourd’hui j’ai la chance de sortir ce que je veux et à peu près quand je veux. Il y a cependant le revers de la médaille. N’étant pas sur une grosse structure et ne pouvant financer de la promotion et se payer un gros attaché de presse, nous nous trouvons confronté à l’indifférence des médias traditionnels et un silence assez assourdissant provenant y compris de gens et de médias qui m’ont jusqu’alors toujours soutenu.

  1. 3H50 aura-t-il vertu de découvrir de nouveaux talents ou est-ce réservé à Bertrand Betsch ?

La priorité du label est de publier mon travail. Mais nous avons aussi envie de développer la structure et d’accueillir d’autres artistes. Je travaille en ce moment avec un artiste (Jérémie Kiefer) que je produis et dont nous sortirons sans doute l’album l’année prochaine. Pour être honnête le rôle de DA (directeur artistique, NdlA) me plaît beaucoup et j’aimerais avoir les moyens de travailler avec plus d’artistes. Beaucoup de projets non signés m’intéressent. Mais il y a d’un côté nos envies et de l’autre le principe de réalité, à savoir que les caisses du label sont vides. Le but reste de développer au maximum la structure, laquelle comporte à présent un pôle production, un pôle management et un pôle édition.

  1. Parlons maintenant du contenu de votre nouvel album, Le Temps qu’il Faut. Est-ce qu’on peut parler de concept album sur le temps et l’usage que l’on en fait ?

Oui tout à fait. Le thème du temps est le fil rouge qui relie les chansons entre elles. Le temps qui passe, le temps d’aimer, de vivre, de mourir. Le temps qui nous reste, le temps perdu, le temps advenu puis révolu. Le concept philosophique du temps me fascine et me questionne. Le passé, à mes yeux, n’existe pas. Il est insaisissable, immatériel, évanescent. Comme dirait Manset : « Rien ne reste, rien ne demeure ». Le passé sème le doute. Est-on sûr que ce qui s’est passé a réellement eu lieu ? Ne fantasmons-nous pas le passé ? N’est-il pas une fabrique ? Un lieu du cerveau dans lequel nous disposons comme bon nous semble le fruit de nos expériences. Que reste-t-il du passé ? Rien. Tout ce que l’on portait en nous est réinvesti dans le présent. Il en va ainsi par exemple des prétendues amours mortes. Ma vision des choses est que l’amour ne meurt pas. Seul l’objet d’amour change. On aime qu’une fois, toute sa vie. L’être aimé n’est pas « l’amour ». Il est le réceptacle de notre amour. Quant au présent, c’est une chose particulièrement friable et fragile. Il est insaisissable. Il est un point mouvant. Chaque minute, chaque seconde meure pour laisser place à la suivante. Le présent court à toute allure le long d’une ligne sur laquelle nous nous tenons dans un équilibre précaire. Je dis une chose, je fais une chose, je dis cela, je pose cet acte, je fais ce geste, et déjà, ce mot, cette chose, ce geste, cet acte appartient au passé. Le temps est une fuite en avant perpétuelle. Pour ce qui est du futur, n’étant pas advenu, il est totalement fictif. Il n’existe pas non plus. Il n’est que chimère. Lui aussi est purement fantasmatique et parfaitement insaisissable. Plus l’on creuse le concept du temps, plus il s’avère que celui-ci n’est pas accessible par la pensée et la parole… Dès lors, pour moi, faire des disques n’est rien d’autre qu’une façon de fabriquer des choses destinées à matérialiser le temps. L’art c’est l’effet trace. Produire quelque chose qui peut-être nous survivra et qui donnera une réalité à notre passage sur terre. C’est faire en sorte de conjurer le caractère évanescent du temps en lui opposant quelque chose de durable. C’est semer des petits cailloux pour dire « voilà je suis passé par là, qui m’aime me suive … »

  1. Aujourd’hui les gens vivent souvent à cent à l’heure, font trois choses en même temps, regardent la télévision pendant qu’ils mangent et répondent à leurs emails, vont sur des sites de rencontre plutôt que d’attendre la rencontre… Tout semble destiné à optimiser le temps. On a l’impression que Le Temps qu’il Faut est une vive réaction à cet état de fait. Vous confirmez ?

Oui, on peut dire ça. Ecrire ou écouter une chanson est un acte contemplatif. C’est créer une durée, poser un jalon. C’est prendre le temps de vivre. Personnellement j’ai besoin de faire quelque chose de concret chaque jour de ma vie. Ecrire, composer, jouer, chanter, enregistrer, créer. Pour autant je ne suis pas dans cette sorte de fébrilité insupportable que l’on rencontre dans les grandes villes. J’ai vécu longtemps dans des capitales (Paris, Bruxelles). Aujourd’hui je vis à la campagne dans le sud-ouest, au rythme des saisons, et l’expression « qualité de vie » a enfin un sens pour moi. Je prends mon temps sans avoir le sentiment de le perdre. Bref, je me sens exister.

  1. Comment composez-vous ? Les paroles viennent-elles avant la musique ou est-ce l’inverse ? Ou alors réunissez-vous des éléments qui ont été créés à part ?

De temps en temps une phrase se met à trotter dans ma tête. Je l’y laisse faire son chemin et un jour je prends mon cahier et je laisse venir la suite. Je crois beaucoup en l’inspiration et très peu dans le labeur. Pour ce qui est de la musique cela vient tout seul. Je peux composer sur commande. Ensuite a lieu la rencontre entre la musique et le texte. C’est l’étape que je préfère car c’est quelque chose d’un peu magique. Je ne développerai pas plus car je me suis largement expliqué là-dessus dans mon livre La tristesse durera toujours, paru aux éditions La machine à cailloux.

  1. Nathalie Guilmot, que l’on entendait déjà sur La Chaleur Humaine (2007), est ici encore plus présente. Vous pouvez nous en dire plus sur votre association ? Quel rôle joue-t-elle dans la composition ?

Nathalie a toujours voulu chanter. Me rencontrer lui a permis de développer ses ambitions. On s’est mis naturellement à écrire des textes ensemble suivant la méthode ping-pong. Puis des idées mélodiques lui sont venues. C’est ainsi que « Avance encore » est née. Elle m’a chanté le refrain. J’ai pris ma guitare. J’ai plaqué des accords dessus. Puis nous avons écrit des couplets et j’ai finalisé le tout.

  1. Je me trompe ou en entend un riff de métal sur « Un Peu de Bruit » ? Vos influences vont-elles jusque-là ?

Je n’ai pas d’influences particulières. Tout m’intéresse dans la musique. Et même si je n’écoute quasiment pas de rock car c’est un genre que je trouve trop balisé, il m’arrive d’emprunter des éléments propres au rock comme les guitares saturées. D’une manière générale je ne m’interdis rien. En quinze ans de carrière je suis d’ailleurs allé un peu dans toutes les directions (avec notamment une parenthèse hardcore il y a dix ans). Mais ne publiant pas le quart de ce que je fais, il y a forcément des pans entiers de mon travail qui restent encore dans l’ombre.

  1. Justement, tant dans le timbre de la voix que dans l’instrumentation, la façon d’écrire ou les mélodies, vous me paraissez unique dans le paysage de la chanson française. Serait-ce indiscret de vous demander quelles sont vos influences ou serait-ce déterrer un pot-aux-roses ?

C’est la question qui revient le plus souvent dans les interviews et c’est la plus difficile. Je ne me reconnais pas d’influences directes. Pour être honnête j’ai toujours du mal à faire le lien entre ce que j’écoute et ce que je fais. J’ai la prétention d’avoir mon style (lequel évolue au fil du temps). Après on aime ou on n’aime pas, c’est une autre histoire. Je sais juste que personne d’autre que moi ne peut faire ce que je fais, quelle qu’en soit la valeur. Cela étant dit il y a quelques figures de la chanson que je considère comme des maîtres tels que Gérard Manset ou Leonard Cohen.

  1. Il y a quinze ans vous faisiez partie de la « nouvelle scène française ». Que pensez-vous de l’actuelle ?

Il y a quinze ans il n’y avait pas vraiment de nouvelle scène française. Il y avait Miossec et Dominique A et c’est à peu près tout. Le terrain était pour ainsi dire en friche. (Rendons grâce d’ailleurs à ces deux-là pour avoir ouvert la brèche à des tas d’artistes.) Les années 2000 ont en revanche vu naître un vivier de nouveaux talents tel que la France n’en a encore jamais connu. J’ai vraiment le sentiment que nous vivons l’âge d’or de la chanson française. Difficile de citer tous les artistes que je trouve remarquables : Florent Marchet, Arman Mélies, Bertrand Belin, Cyrz, Mansfield Tya, La maison Tellier, Biolay, j’en passe et des meilleurs, sans parler de tous les artistes non-signés tels que Thomas Aussenac ou Trois Minutes sur Mer. Je me souviens que dans les années 90, Vincent de Lithium avait un mal fou à dégotter des artistes prometteurs. Aujourd’hui il y a énormément de talents mais plus de structures pour les accueillir. C’est une situation paradoxale et qui m’attriste beaucoup.

  1. BUB parle de musique mais aussi de cinéma. Or deux de vos nouveaux titres, « Se Souvenir des Belles Choses » et « Tout est Pardonné » sont aussi des films français*. Est-ce un hasard, ou les avez-vous vus (et aimés) ? Y-a-t-il une connexion entre ces films et vos chansons ?

Les titres de films, de disques et de livres sont une de mes grandes sources d’inspiration. J’ai écrit « Se Souvenir des Belles Choses » en 2007. Je trouve cette locution magnifique et inspirante. Mais ce n’est que très récemment que j’ai vu le film de Breitman (beau petit film humaniste sans grande prétention). « Tout est Pardonné » est aussi un titre magique. Le film l’est beaucoup moins. C’est même l’un des films d’auteur les plus médiocres qu’il m’ait été donné de voir. Il n’y a jamais de connexion entre mes chansons et les œuvres évoquées par leurs titres. C’est juste une forme de sampling narratif.

  1. Vous pourriez nous donner deux films récents qui vous ont marqué ?

La Guerre est Déclarée de Valérie Donzelli, Two days in Paris de Julie Delpy et Présumé coupable sur l’affaire d’Outreau.

  1. Quel regard portez-vous sur l’industrie musicale qui se casse la gueule ? Il est temps d’en rire ou d’en pleurer ?

L’industrie musicale vit sans doute sa dernière décennie. Pas la peine de tirer sur l’ambulance. Ayant été éjecté sans façons de ladite industrie je me vois mal la soutenir. S’il n’y a plus de place pour des artistes fragiles comme moi et bien d’autres, alors elle n’a plus raison d’être. Moi je crois de plus en plus au système D ou B et au Do it yourself. Des réseaux parallèles indépendants se développent via le net. Des gens viennent vers moi spontanément. La marque de vêtements Grand Travers me sponsorise à son échelle. Un site comme Plemi qui organise des concerts dans des petits lieux travaille avec nous. Et puis il y a tous les amateurs de musique qui font des pieds et des mains pour vous organiser des concerts bénévolement dans un geste de pure générosité et de volonté de partage. Aujourd’hui, grâce à la MAO (musique assistée par ordinateur, NdlA) et beaucoup de bonne volonté, on peut faire un disque pour rien. Après se pose la question de la diffusion et de la rémunération des artistes (lesquels se paupérisent à vitesse grand V) et là les solutions restent à trouver.

  1. Que pensez-vous d’Hadopi, est-ce la bonne solution ? Que diriez-vous à des gens qui téléchargent votre nouvel album ?

Hadopi est morte avant d’avoir existé. A présent la mode est au streaming. Il y a toujours moyen de contourner la loi. Par ailleurs les politiques se contrefoutent de la culture, donc on n’est pas sorti de l’auberge. Si des gens téléchargent mon album illégalement et qu’ils l’apprécient alors ils sont dans une situation paradoxale puisque ce faisant ils me privent des gains qui me permettront d’en publier un autre et donc ils se punissent eux-mêmes.

  1. Vous-même, est-ce que vous téléchargez et/ou achetez des disques ?

J’achète encore des disques physiques et ma femme en télécharge d’autres légalement.

  1. Avez-vous gardé contact avec vos anciens collègues de Lithium**, Dominique A et Mendelson ? Que pensez-vous de leurs carrières respectives ?

Non je n’ai pas gardé de contacts avec les artistes de Lithium. J’ai croisé Michel Cloup à Toulouse récemment. Je trouve son album solo très beau. J’aime beaucoup la chanson « Barabara » de Pascal (Pascal Bouaziz aka Mendelson, NdlA). Quant à Dominique A, c’est un immense performer et j’ai toujours plaisir à le voir sur scène. Mon groupe préféré de Lithium reste Programme.

* Se Souvenir des Belles Choses est un film de Zabou Breitman, Tout est Pardonné est un film de Mia Hansen-Love

** ancienne maison de disques de Dominique A, Mendelson, Programme et Bertrand Betsch

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