Deep End
Jerzy Skolimowski

EnterreCommander des hot-dogs ou fantasmer sur une photo. Voici à peu près les deux chemins que Mike, le personnage principal de Deep End, peut suivre. Le premier, il l’entrevoit au cours d’une soirée d’errance dans des rues mal famées, durant laquelle un vendeur asiatique et ambulant lui prépare des hot-dogs. Avec moutarde. Le second, c’est celui qu’emprunte le garçon le reste du temps, soit la quasi-totalité du film : éperdument accroc de Susan, la fille qui travaille avec lui dans un établissement de bains londonien, sa vie ne consiste qu’à tourner autour d’elle et à embrasser une photo la représentant taille réelle.

Ce n’est pas le choix que fait le personnage de suivre ce second chemin qui est le plus agaçant, celui d’un garçon de quinze ans qui pourrait se tuer pour la photo d’une fille terriblement sensuelle. C’est le fait que Jerzy Skolimowski le suive aussi, sans en ressentir les frissons. C’est son parti pris de prétexter cette obstination adolescente à la dramatisation pour se faire poète. Une rousse avec un imper jaune sur un terrain enneigé, un corps ensanglanté dans une piscine bleu électrique, le tout sur fond de Cat Stevens et de Can, de passion voltaïque, de civilisation de l’image et de dénonciation d’une certaine Angleterre bourgeoise et barrée : produit en 1970, Deep End a tout pour être adulé comme l’autre chef-d’œuvre de l’époque après Blow Up. D’ailleurs, il l’est. Le problème – comme pour le film d’Antonioni –, c’est que ce cinéma ne dit rien d’autre que ce qu’il a prévu de démontrer. Il est théorique et ostentatoire.

Le plus intrigant, finalement, ça reste les tares des personnages secondaires que le cinéaste tente de stigmatiser. Mais le film les évacue dans le pathologique. Il persiste dans le second chemin, où n’existe aucune ligne de tension, aucune étape de fabrication des histoires personnelles. Chaque acte semble, pendant une heure et demie, ficelé par un scénario qui n’a qu’un seul but : la fin – funèbre – du film, qui apparaît comme une obligation pour faire artiste, pour faire maudit. On doit donc se coltiner jusqu’au bout la fièvre obsessionnelle de Mike et admettre par exemple que passer vingt minutes à chercher un diamant dans une botte de neige (on apprend qu’il faut faire fondre la neige dans une bouilloire pour voir apparaître la pierre précieuse) recèle un véritable enjeu. On se trouve happé de force par cette obstination du réalisateur à parler de l’obstination théorique de son héros. Les histoires parallèles, elles, sont instrumentalisées. Rien de plus sur le vendeur de hot-dogs qui dit merci en pliant les genoux, sur les parents venus visiter leur fils sur son lieu de travail, sur une prostituée à la jambe cassée, et surtout sur ces filles à qui l’on offre à manger avant de montrer le chemin pour Piccadilly. Tous n’agissent que comme faire-valoir. C’est l’inconvénient d’un chemin assez peu modeste, et finalement assez peu aventureux.R

Marc Urumi

bub

———

Deep End de Jerzy Skolimowski (Royaume-Uni, Allemagne de l’Ouest ; 1h30)

Date de sortie : 1971

bub

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.