Never let me go & winter’s bone
Mark Romanek & Debra Granik

DeterreEnterreD’un côté Winter’s Bone, vainqueur à Sundance et censé représenter le must en matière de cinéma indépendant américain. De l’autre, Never Let Me Go, même catégorie mais dont la sortie fut beaucoup plus discrète malgré la présence de ses graines de stars (Keira Knightley et Andrew Garfield, futur Spiderman). Vainqueur aux poings de cette sortie commune : le deuxième film de Mark Romanek (Photo Obsession).

Celui-ci a déjà ce mérite, contrairement à son concurrent primé, de délaisser enfin le terroir ricain peuplé de rednecks pour embrasser la morose Grande Bretagne, tout autant pourvoyeuse de climats tourmentés. Les deux films ont ceci en commun qu’ils évoquent la vie d’adolescents condamnés, les uns par héritage parental (Winter’s Bone), les autres par contrat social. Sauf que, quand le premier s’inscrit dans une réalité sordide pour égratigner (encore) le rêve américain, le second choisit le cadre plus poli de l’anticipation, façon Le Meilleur des Mondes, afin de mettre le doigt sur certaines dérives médico-sociales ; cela via une bluette sentimentale de bon goût.

Si Never Let Me Go emporte assez aisément le morceau, c’est qu’il monte constamment en puissance ; contrairement à Winter’s Bone qui s’englue lentement mais sûrement dans le chemin balisé qu’il s’efforce de tracer très (trop ?) consciencieusement : celui d’une jeune adulte prête à tout pour retrouver son père toxico, celui-ci ayant hypothéqué la maison dans laquelle elle élève (presque) seule son frère et sa sœur. La réalisatrice Debra Granik ne parvient jamais à hausser le niveau de ses enjeux (le scénario pédale dans la choucroute), et les grands espaces, réduits peu ou prou à un pâté de maisons, semblent finalement assez étriqués : résultat, en guise de road movie on se retrouve à huis-clos. Et le spectateur, comme l’héroïne, se heurte à l’hermétisme du monde décrit. L’interprétation, pourtant réjouissante, ne soutient finalement qu’une jolie galerie de portraits… Sans plus.

En revanche, Romanek accompagne lui avec retenue et parfois même avec grâce un scénario beaucoup plus audacieux – on pourrait même dire étrange – qui dévoile ses clés paisiblement mais avec force. Au final, le parcours de ces jeunes gens destinés à donner leur corps pour en sauver d’autres en devient profondément touchant. Le simple fait d’avoir choisi une époque antérieure à la nôtre pour dénoncer des événements futuristes est une idée aussi déstabilisante que délicieuse. L’absence totale de révolte intérieure des trois protagonistes, cette résignation en sourdine sont également très troublantes. Si bien que le monde, tel qu’il est dépeint, est limite nauséeux : les choses semblent totalement immuables, d’une part parce qu’elles sont déjà passées, d’autre part parce que l’ignominie y est tout à fait normale. En ce sens, Never Let Me Go apparaît d’une certaine manière comme le pendant sentimental et réflexif du sous-estimé Repo Men, sorti l’année dernière, qui évoquait le même sujet, mais sous l’aspect révolutionnaire et sous couvert de film d’action. Soyons francs, le film n’évite pas quelques longueurs et l’insistance sur quelques passages dramatiques frôle parfois l’indécence… N’est-ce pas là l’apanage des bons mélos ? Bref, âmes sensibles, amateurs d’anticipation sage et intelligente, Never Let Me Go est fait pour vous. Car s’il ne fait pas figure de chef d’œuvre, reconnaissons-lui un vrai savoir-faire et surtout un certain culot dans le traitement de son histoire et de ses personnages. Un culot qui manque sacrément à Winter’s Bone.

François Corda

bub

———

Never Let Me Go de Mark Romanek (Etats-Unis, Royaume-Uni ; 1h43)

Winter’s Bone de Debra Granik (Etats-Unis ; 1h40)

Dates de sortie : 2 mars 2011

bub

Commencez à écrire et validez pour lancer la recherche.