Alors qu’en 2020 la planète s’est (par moments) arrêtée de tourner, les platines CD, elles, n’ont pas cessé leurs circonvolutions. Certains se satisferont de cet état de fait : l’industrie du disque a « produit » normalement en 2020. Oui, mais les artistes sont, comme nous, assignés à résidence ; et sans concert, pas de revenus pour beaucoup d’entre eux (une chanson streamée plus de 100000 fois ne rapporterait pas plus de 1000€). Il est encore trop tôt pour dire quelles seront les répercussions économiques à long terme pour ceux qui gagnaient ainsi leur vie sur la route. En attendant un retour dans les salles et les festivals, la meilleure chose que l’on puisse faire est de rendre hommage à ces musiciens qui ont rythmé cette année en faisant écho à nos (nombreux) états d’âme.
Il existait en 2020 quatre catégories d’artistes à même de nous soulever. Les délicats ont capté notre volonté d’introspection et d’aspiration à la quiétude (Dominique A, Keeley Forsyth, Max Richter), les furieux ont sublimé le chaos en nous ballottant comme des feuilles (Sylosis, Igorrr). Les revendicateurs ont nourri notre colère à l’égard d’un monde se complaisant dans sa déchéance (Apollo Brown, ILikeTrains), quand les audacieux ont su nous faire croire, le temps d’un disque, que l’on pouvait oublier toute cette saloperie et avoir foi dans un avenir plus rayonnant (Songhoy Blues, Everything Everything, Melt Yourself Down).
Nous ne reviendrons pas sur les disques déjà chroniqués dans nos pages pour nous attarder sur ceux que nous n’avons pas eu le temps de bénir. Le dernier Sylosis, Cycle of Suffering, nous a entraîné dans sa spirale masochiste avec un sens de l’émotion directe et brutale hors du commun : mélodiquement imparable, Cycle of suffering est un condensé de tout ce que le genre peut charrier d’unique émotionnellement, lorsque l’animalité le dispute à l’extase. Sylosis possède cette science du riffage et de la polyrythmie ; moyen le plus sûr d’oublier le monde qui nous entoure par la commotion et la transcendance.
La découverte tardive d’As God Intended d’Apollo Brown & Ché Noir a agi comme une révélation… divine. Au-delà du fait qu’on n’avait pas écouté d’instrumentaux downtempo aussi sublimes depuis The Patriarch de Deniro Farrar, le flow de Ché Noir possède cette dualité équivoque de la caresse et de l’invitation appuyée, de celles qui nous font plonger dans les entrailles d’une amérique ravagée, avec autant d’empathie que de désespoir bileux.
Et parce qu’on ne veut pas finir sur une note pessimiste, autant prendre le temps de se réjouir, écoute après écoute, de la pop irisée de Everything Everything. Jusqu’à Re-Animator, on doit avouer que ce quatuor Anglais ne suscitait qu’un respect poli. Ils semblent ici avoir trouvé une recette miracle, une voie entre ce que Radiohead ne daignera plus jamais faire (c’est-à-dire la construction de chansons plutôt que d’une electronica mollassonne qui s’efface derrière un chanteur gourou), et une sorte de réincarnation des Talking Heads version second millénaire, qui n’aurait rien à envier en terme de production aux mastodontes du Rn’B.
François Corda
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Top musique 2020
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