THE HUNT
Craig Zobel

EnterreOn sait gré à Craig Zobel d’avoir pu, l’espace d’un instant, irriter Donald Trump par son propos soi-disant irrévérencieux. Mais c’est la seule grâce qu’on pourra lui accorder. Car en matière de cinéma, The Hunt est a contrario beaucoup trop déférent envers ses modèles pour qu’on en retienne autre chose qu’une farce inoffensive.

C’est d’ailleurs le double problème de The Hunt : il échoue dans les deux domaines, celui du rire (poussif) et de la satire sociologique (démonstrative). Au final, on observe ce combat de coqs (que l’on pourrait résumer à un duel final à l’arme blanche ronronnant) à la façon de son héroïne : détaché, insensible. Les gags, qui reposent avant tout sur des clins d’œil complices avec le spectateur « middle class », sont pour le moins poussifs (les diatribes du trader défenseur du second amendement ou du white trash anti-migrants). Et quand le gore s’en mêle, c’est sur un ton rigolard qui désamorce toute empathie et/ou toute frayeur potentielle. Comme si Zobel avouait trop vite ses réelles intentions : toute cette boucherie, c’est juste pour déconner un coup. Et si on peut y injecter un peu de conscience politique en passant, tant mieux.

Mais il y a, surtout, ce personnage de Crystal, censé être l’allégorie de la revanche des « déplorables » (terme employé par Hillary Clinton pour désigner l’électorat de Trump) sur les dominants. Il est celui qui cristallise, précisément, l’échec de The Hunt. Crystal ou plutôt l’actrice qui l’interprète, Betty Gilpin, surjoue, à la façon de Charlize Theron dans le surestimé Monster, la jeune femme mal dégrossie. Et il faudrait qu’on y croie, à cette GI Jane plus maline qu’elle en a l’air ! Parce qu’elle censée être notre référent culturel, ni Trumpette, ni élite démocrate méprisante. Derrière le regard torve, il faudrait distinguer la pureté de l’électron libre, qui méprise aussi bien la gauche caviar et bien-pensante (autrement dit celle qui considère les électeurs de Trump comme des bouseux au QI déficient) que ses collègues choisis comme proies pour leur (au choix) climato-scepticisme, homophobie, racisme etc. Mais Craig Zobel et ses scénaristes, en faisant de Crystal un réceptacle aussi trouble, dans lequel chaque spectateur devrait pouvoir se retrouver (pas trop belle, pas trop laide, intelligente juste ce qu’il faut, fumeuse mais sportive etc.), échouent à la rendre humaine, et donc attachante.

Les stéréotypes éreintent The Hunt et cassent d’emblée la mécanique politique d’un propos par ailleurs très sommaire : la classe dirigeante de gauche a délaissé le peuple. Merci pour l’info (avec bientôt quatre ans de retard). Une fois qu’on a saisi le « message », libre à nous de nous laisser porter par ce jeu de massacre mille fois vu, lorgnant sans vergogne sur Battle Royale et ses dérivés survivalistes. En matière de film d’horreur sociétal on préférera piocher dans la filmographie d’Eli Roth, autrement plus corrosive et féroce.

François Corda

| 22 juin 2020 | Etats-Unis


 

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