THE GREAT OLD ONES
interview

RevueEn tout juste quatre albums, The Great Old Ones s’est imposé comme un groupe de référence, tant dans sa proposition de renouvellement d’un genre – le black metal – pourtant très attaché à ses codes, que pour sa relecture d’un univers littéraire foisonnant : celui de Lovecraft. C’est donc peu avant le début d’un concert Parisien que le Bub rencontre Benjamin dans les loges du Nouveau Casino. Tout en accordant son instrument, le chanteur et guitariste revient sur le dernier album de son groupe de Grands Anciens. Saurez-vous garder votre raison à la lecture de cet échange sondant les mystères de Cosmicism ?

François Armand : L’album Cosmicism sonne différemment de ses prédécesseurs. Cela marque-t-il une volonté de faire évoluer le style de The Great Old Ones ?

Benjamin : Ce qui est certain, c’est qu’on a la volonté de ne pas refaire ce qui a déjà été fait. On essaie toujours d’apporter de nouvelles choses. Qu’est-ce qui a changé pour toi ?

F.A. : Cosmicism semble un peu moins torturé, moins dense que ses prédécesseurs, avec davantage d’ampleur lyrique…

B. : Si on a toujours la volonté de changer, ce n’est en tout cas pas une volonté consciente. Tekeli-li était froid et dense, EOD plus violent et plus chaud. Là, l’approche est plus frontale et plus claire, mais c’est aussi une question de production.

F.A. : Tekeli-li était une relecture de la nouvelle « Les Montagnes Hallucinées » de Lovecraft, EOD se présentait comme une suite de la nouvelle d’Innsmouth. Cosmocism quant à lui ne semble plus raconter qu’une histoire, mais s’intéresser à un concept philosophique…

B. : Les morceaux racontent toujours des histoires, mais cette fois-ci indépendantes. Le point commun était effectivement ce concept philosophique qu’est le cosmicisme. C’était un très bon fil rouge pour tous ces morceaux. Chaque morceau de Cosmicism se base sur une entité, ou plutôt l’histoire d’un protagoniste qui va rencontrer cette entité, en tout cas des réflexions par rapport à ça. Il y a toujours cette notion de rencontre vers quelque-chose mais qui va aller vers la folie. Ce sont des histoires différentes, avec ce fil rouge autour de ce concept général qui est le cosmicisme. C’est le fait d’entrevoir quelque-chose qui nous rendrait fou, des choses dont on n’a pas conscience.

F.A. : En faisant abstraction un petit peu de la mythologie autour de Lovecraft, est-ce que ce ne serait pas la traduction du sentiment d’être effrayé par la toute petite place que l’on tient dans l’univers, d’être fasciné par ça ? De l’absurdité aussi : nous si petits dans un univers immense…

B. : Exactement. Mais les mots que tu cites : fascination, peur, sont pour moi ce qui caractérise très bien – mais je ne suis pas le plus grand expert – Lovecraft, en tant qu’homme. Il avait tout à fait conscience de la nature fictionnelle de ses écrits. Il y avait cette fascination pour l’espace, pour le fond des mers, tous les lieux un peu inhospitaliers pour l’homme, ce qui fait que ça n’avait pas beaucoup été exploré, surtout à son époque. Nous, on n’a pas vu grand-chose non plus. Surtout au niveau de l’espace, on en a vu un petit plus, mais on est loin d’avoir fait le tour. Cette notion de fascination mélangée avec de la peur, je pense que ça le caractérise très bien. Cette peur de l’inconnu est peu liée à la peur du noir, des choses que tu ne peux pas voir en fait. Ca, ça se retranscrit chez lui en tant que personne. Moi, c’est quelque chose qui me fascine aussi. Cette fascination, cette curiosité mélangée avec de la peur, pour ce qui peut se passer, et en même temps, t’es pas vraiment sûr de vouloir le savoir. Je lisais un article il n’y a pas longtemps où y avait un mec de la NASA qui pensait qu’on n’était pas loin de trouver une vie extraterrestre. Il disait par contre que l’Humanité n’est pas du tout prête à le savoir. Dans les écrits de Lovecraft, on retrouve ce truc-là.

F.A. : Par rapport au style littéraire de Lovecraft, pas évident à lire, suscitant le malaise, souvent avec des phrases tarabiscotées, il y a une théorie émise par des spécialistes de l’auteur qui disent que c’était un choix pour retranscrire son univers. Est-ce qu’on peut entendre The Great Old Ones comme un équivalent musical ?

B. : Le choix d’une musique qui ne serait pas forcément facile d’accès au premier abord et qui mériterait d’aller un peu plus loin ? Non c’est pas du tout un choix réfléchi. C’est une musique qui est complexe. Pas forcément techniquement complexe, quand je parle de ça, je ne parle pas de technique. Je parle plutôt d’atmosphères, de couches, de choses comme ça. C’est une musique qui, pour devenir accessible, pourrait très facilement être simplifiée. On perdrait beaucoup de choses à simplifier ce qui se passe dedans. C’est pas réfléchi mais ça fait partie de la marque de fabrique du groupe. Ca ne veut pas dire qu’un jour, on ne partira pas sur quelque chose de plus simple. Partir sur quelque chose de plus simple, plus accessible… pourquoi pas, je ne veux pas fermer des portes. Par contre perdre l’ambiance, ça il en est hors de question. C’est-à-dire qu’on a toujours proposé une musique bourrée d’atmosphère et qui a une tension dramatique. C’est lié à un certain état d’esprit, c’est hors de question que je le perde.

F.A. : En concert, vous apparaissez couverts sous des capuches, souvent peu éclairés…

B. : On ne partira pas sur des déguisements de lapin, c’est sûr (rires)

F.A. : Est-ce un dispositif de mise en scène pour obliger le public à s’immerger complètement dans la musique justement ?

B. : Le décor est important, mais amener une atmosphère aussi. C’est-à-dire qu’en proposant cette musique là, il faut que l’image soit liée au son. Sinon on ne s’emmerderait pas non plus à ce qu’il y ait des artworks intéressants, à faire des objets sympas, des choses comme ça… Il faut que l’image en concert soit liée au reste. Au tout début du groupe, on avait des choses très simples, on était habillé complètement normalement. Je trouvais qu’il manquait un truc, j’avais envie que les gens voyagent. Après on pourrait nous dire qu’aujourd’hui, des groupes avec des capuches et des machins, y en a une tonne, et c’est plutôt vrai. Là j’aurais du mal à enlever ça, il faudrait qu’on trouve autre chose. On ne peut pas revenir à quelque chose de purement lambda, sans rien, il faut que ça passe par l’image.

F.A. : Au niveau musical, vous reprenez les codes du black metal, au niveau thématique par contre ça diverge. Quelle jonction fais-tu avec le côté traditionnel du black ?

B. : J’ai toujours fasciné par les thématiques du black metal. Il y a des textes plus ou moins recherchés. Quand tu vas chez les Emperor ou quelque chose comme ça, il y a des textes qui sont liés à de la poésie noire – en tout cas je le vois comme ça – très lié au satanisme. Ca peut bouger un peu, mais c’est quand même lié à ça. Je ne me sentais pas d’écrire là-dessus, même s’il y a des choses qui m’attirent, des idées, j’aurais l’impression que ce serait pas vraiment moi. Les thématiques qu’on aborde, il fallait que ce soit un sujet qui nous parle à nous, qui nous fasse vibrer, et en même temps c’est venu assez naturellement. Le premier sujet qui m’est venu lorsque j’ai écouté les premières compo, c’était Lovecraft. Il y avait ce truc-là, donc si tu veux sur les codes, la question ne s’est même pas posée. J’aurais pas eu envie spécialement d’écrire sur les codes principaux du black metal. J’avais envie de proposer autre chose et je trouvais, en plus, que c’est ce qui collait le mieux. Je trouve que notre musique ne colle pas parfaitement avec les thématiques principales du black metal.

F.A. : L’univers créé par Lovecraft a envahit la pop culture, dans une moindre mesure un peu comme celui de Tolkien parce qu’il n’y a pas eu d’adaptation cinématographique vraiment majeure. Toujours est-il qu’il y a plein de fans, partout. Qu’est-ce que nous dit cette mythologie de nos jours ? En quoi elle nous parle ?

B. : Je pense qu’elle nous fait part du nihilisme de Lovecraft, sur ce que je disais sur le cosmicisme tout à l’heure, sur le côté très vain de l’homme. Très infime par rapport à des immensités ou des choses comme ça, l’immensité du cosmos, l’immensité du fond des mers, des choses qu’on ne connaît pas. On n’est pas grand-chose vis-à-vis de ça. Aujourd’hui ça, ça n’a pas vraiment changé. [Depuis l’époque de Lovecraft], on a découvert des choses, on en sait plus, mais on est très loin d’avoir découvert le quart de la moitié de quelque-chose qu’on estime infini. On ne devrait jamais en faire le tour.

F.A. : Infini en expansion d’ailleurs…

B. : Totalement en expansion. Je ne suis pas sûr qu’on aille aussi vite que l’expansion de l’univers pour attraper le bout. Donc ça garde ça, pour moi. Ca explique surtout qu’on est tout petit et que des fois, on devrait être un peu moins tourné vers soi-même et se dire qu’on n’est peut-être pas si important que ça. Après ça reste des œuvres fictionnelles, je ne suis pas sûr que lui avait envie d’y mettre une portée très politique ou autre chose.

François Armand

The Great Old Ones  / Cosmicism (France | 25 octobre 2019)

 

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