SHAARGHOT
interview

RevueCette édition 2019 du Hellfest aura fait la part belle au metal industriel, avec notamment les prestations remarquées de groupes phares tels que Punish Yourself ou de Combichrist. C’est donc dans le sillage d’incontournables de cette scène si particulière que le Shaârghot débarque avec son armée de shadows pour enflammer la scène du Temple. Quelques heures après un concert survitaminé, Etienne (alias Shaârghot donc) reçoit le Bub pour parler cyber-punk, ordre, chaos et dindon.

François Armand : L’univers de Shaârghot est très riche. Voici donc la question de la poule et l’œuf : qu’est-ce qui est venu en premier : le son ou le scénario ?

Etienne/Shaârghot : Très bonne question, en fait j’ai toujours voulu créer un univers dans ce style-là, avec pas mal de body painting, de décors et caetera, et à l’époque je n’avais pas encore la musique. Je te parle de ça, j’étais ado en fait. J’ai failli abandonner l’idée le jour où j’ai vu Punish Yourself en concert.

F.A. : Ils sont actuellement en concert, juste derrière…

E. : Je me suis précipité pour voir cinq minutes du show et revenir… Ce sont mes papas ! Je vous le dis clairement ! Alors j’étais partagé entre le « putain c’est génial ! » et le « j’ai plus rien à inventer, en fait c’est bon, je peux retourner dans ma cave et je laisse tomber ». Des années plus tard, je me suis quand même dit que je voulais créer quelque chose. On peut me traiter de copie de Punish ou je ne sais quoi, mais je veux faire quelque chose avec le body paint, avec un univers dystopique, cyber-punk. J’étais très influencé par beaucoup de BD du style Neige par exemple. Pour la musique, c’est venu naturellement parce que je suis un gros fan de metal électro goth, dark électro… J’aime beaucoup tout ce qui est Combichrist, Psycho. Du gros électro agressif, rentre-dedans, un poil malsain mais en même temps très festif. Souvent quand j’écoute ce genre de truc, je me dis : « c’est vachement bien, mais avec une petite guitare en plus par moments… ». Ah tiens, il n’y a personne qui fait ça ! Bon à part Punish… Donc si personne ne le fait, je vais le faire ! C’est comme ça que ça a commencé, en combinant les deux trucs ensemble, et ça a fini par prendre. J’étais parti sur un schéma de couleur vert et noir. Il devait y avoir un peu plus de vert, je voulais qu’il y a ait une ossature en vert, comme si c’était une peau translucide où l’on voit au travers. Finalement non, restons sur du basique, simple, noir, brillant car ça va choper toute la lumière et redessiner tout le corps en entier, et puis on verra bien. C’est comme ça que ça a commencé.

F.A. : Et aujourd’hui, l’univers, le personnage de Shaârghot, est-ce un espace de créativité ou un carcan finalement un peu contraignant ?

E. : Evidemment il y a quand même des contraintes à respecter car c’est un univers très précis duquel je ne peux pas forcément m’éloigner de trop non plus. Mais il se trouve qu’il correspond exactement à l’optique dans laquelle je suis en ce moment, je m’y sens très bien. Je ne vous cache pas que j’ai déjà commencé à composer le troisième album. On n’est qu’au début de The Advent of Shadows, donc on va lui laisser deux ans, deux ans et demi d’existence. On a encore des clips à sortir. A l’heure actuelle, je n’ai pas de contrainte vis-à-vis de Shaârghot. Le jour où véritablement, j’aurai d’autres choses plus personnelles à dire, je créerai un autre projet, parallèle, qui n’aura rien à voir, peut-être plus brut et rentre-dedans, mais peut-être moins scénique. Au final oui, Shaârghot, c’est beaucoup de contraintes, mais on ne le fait pas pour rien. On aime ça. On a l’amour du spectacle. Je me suis toujours positionné en me demandant ce que moi, en tant que spectateur, j’aimerais voir sur scène. Je suis un grand amateur de concerts et je recherche à chaque fois le petit truc. Sans jamais copier, sans jamais imiter. Il faut inclure les choses dans ton monde. C’est-à-dire que… on va être franc : ce que je fais n’est pas le comble de l’originalité. Des guitares qui crachent des flammes, ça a été fait, refait, y a plein de gens qui ont fait ça. Il faut le faire d’une telle façon que ce soit suffisamment crédible et correctement apporté dans cet univers. Du body painting, plein de gens en ont fait. Du post apo, plein de gens en ont fait. Il faut développer un véritable univers qui soit authentique et sincère. Pas juste une copie. A partir de là tu commences à composer avec tes tripes, tes couilles, ton cœur, ton ressenti, tout ce que tu as ingurgité dans ta vie et tu le ressors là-dedans. Tu fais un gros shaker, tu secoues et ça doit te correspondre, être honnête avec ta démarche. Je n’essaie pas de ressembler à quelqu’un, j’essaie de faire quelque chose avec laquelle je me sens à l’aise.

F.A. : Sur la pochette de l’album, on voit le Shaârghot brandir une batte de baseball, juché sur une carcasse de machine à laver… Il y a une sorte de violence jubilatoire, peut-être gratuite comme dans Orange Mécanique. Quelle est la démarche par rapport à ça ?

E. : Deux trucs : tu parles d’Orange Mécanique, mais en fait je n’avais jamais vu le film avant de créer Shaârghot. Le chapeau melon est une référence à Charlie Chaplin et au garde dans le Roi et l’Oiseau, pour le côté uniforme, dictature. Tu me parles de la machine à laver mais as-tu vu le dindon dans la machine à laver ?

F.A. : (rires) ah non

E. : Re-regarde bien, il y un dindon dans la machine à laver. Je cache des dindons partout. Non, la violence de Shaârghot n’est pas juste purement gratuite. Il est une réaction par rapport à un excès d’ordre. Là où il y a trop d’ordre, ça va automatiquement générer du chaos. La société dans laquelle existe le Shaârghot, régie par une entreprise politique, industrielle, et caetera, qui s’appelle the Great Eye, a tendance à faire ce qui fait de plus en plus maintenant, c’est-à-dire mettre des règles partout, partout, partout. A force de mettre des règles, à trop vouloir régir les choses, tu finis par engendrer du chaos. Le Shaârghot est une expérience ratée du Great Eye, ils ont généré eux-mêmes leur propre chaos, de par leur désir de vouloir tout contrôler de A à Z. L’ordre appelle le chaos, le chaos appelle l’ordre. Le Shaârghot est une réponse à la violence de l’ordre, parce que trop d’ordre amène de la violence, trop de chaos amène de la violence. Il n’y a pas de personnage blanc ou noir véritablement, dans cette histoire, tout le monde est gris. Il n’y a pas de bons ou de mauvais protagonistes dans cette histoire. Les troopers que tu vois se faire massacrer dans « Break your body » sont des gens convaincus du bien-fondé de ce qu’ils font. En face, les shadows sont convaincus de leur droit. Donc pas de mauvais, pas de bons, il n’y a que du gris.

F.A. : Sur les clips justement, ils sont très bien produits, de véritables court-métrages. Sont-ils financés sur du financement participatif ? Comment avez-vous fait ?

E. : Oui du crowdfunding et j’ai fait une école de cinéma moi-même. Une grande partie des gens avec qui je travaille vient de cette promo. Ils bossent sur beaucoup de projets intéressants mais ils sont prêts à mettre la main à la pâte dans le projet Shaârghot car ils trouvent ça original et véritablement c’est un défouloir. Ce que je leur propose, c’est de repousser les limites à chaque fois. Peut-être qu’on va se planter, on n’en sait rien, mais la démarche est expérimentale. On est là pour essayer, se faire plaisir et en foutre plein la gueule au public. Et nous, se prouver qu’avec pas grand-chose, on peut arriver quand même à produire des choses qui sont, osons le dire, de qualité acceptable. Tu verras jamais chez nous un clip avec quatre connards qui headbanguent devant un fond blanc pendant quatre minutes.

Anthony André : le dernier, « Z//B », est particulièrement réussi…

E. : Merci. On a véritablement souffert physiquement pour le faire. Je vous lâche l’anecdote, il faisait six degrés pendant les trois jours du tournage, c’était en janvier. L’eau était glaciale. Toute la fumée que vous voyez ne vient pas forcément de la machine à fumée, mais de nos corps. Voilà.

F.A. : Que veut dire le « K.M.B » du morceau éponyme ?

E. : Killed, Mutiled and Burned. Tout simplement. C’est vrai que c’est difficile de comprendre par moment quand tu gueules à pleins poumons. Pour le coup, j’essayais d’être dans la tessiture de voix du chanteur de Killing Joke mais je dois avouer que ça a été compliqué. Généralement, mes prises voix, je les fais vite, deux ou trois prises maximum. Celui-là par contre m’a donné plus de fil à retordre, je dois le reconnaitre.

François Armand

Shaârghot  / The advent of shadows – Vol. 2 (France | 08 février 2019)

 

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