LES ROIS DE LA SUEDE
interview

RevueMembre fondateur des Fatals Picard, Ivan Callot a quitté le groupe depuis plus de dix ans et est à présent, en compagnie de ces acolytes Marc Limballe et Emmanuel Urbanet, appelé aux responsabilités en tant que Rois de la Suède. Le trio a sorti fin 2018 un double album fleuve, Punk rock academy, dans la plus pure tradition : entre chansons corrosives et humour douteux.

François Armand : Punk Rock Academy s’ouvre sur un morceau érigeant la bagnole en symbole, celui d’une perte de repères. Il se trouve qu’en novembre 2018, le conflit des gilets jaunes a commencé à se cristalliser autour de cette question, ce que vous ne pouviez pas deviner à l’instant où l’album est sorti. Pourquoi donc avoir choisi de brocarder une attitude (regroupant les symptômes décrits dans la chanson : vitesse excessive, enjeux de domination (masculine) au volant, écologie…) en premier lieu ?

Ivan Callot : C’est vrai qu’en fait plutôt que d’éradiquer les macho-ffards on devrait d’abord éradiquer les voitures, ça réglerait deux problèmes à la fois : les morts sur la route et une partie des émissions de CO2. Il parait que les gens ne sont pas prêts…

F.A. : Comment parvient-on à trouver le bon équilibre entre humour et critique ?

I.C. : On fait beaucoup de yoga, et bien sûr, on mange considérablement de fibres et de légumes. Et on a aussi acheté des bracelets « power balance », c’est vraiment hyper efficace.

F.A. : Est-il déjà arrivé qu’une chanson s’écrive uniquement parce qu’un jeu de mots (vous) fait rire ?

I.C. : Malheureusement oui, et pas qu’une fois !

F.A. : Qu’est-ce qui a changé dans vos intentions, dans ce qui motive les Rois par rapport à vos expériences musicales passées ?

I.C. : L’argent est devenu notre principale motivation. Et vu les millions d’albums qu’on vend on a bien fait de tout changer.

F.A. : Est-il difficile dans le brouhaha actuel d’apporter un regard critique par le rock ? Vous considérez-vous comme « engagés » par exemple ?

I.C. : On prêche souvent des convaincus, on est un peu ceux qui demandent au public « est-ce que vous êtes pour la guerre? ». On aime bien quand certains répondent « oui ».

F.A. : Votre regard sur le punk rock et ce milieu est, malgré les vannes, empreint d’une vraie tendresse. Le punk est-il vraiment mort pour de bon ? Le fan de NOFX est-il devenu anachronique ?

I.C. : Le punk ne mourra jamais. Il y aura toujours des gens à l’hygiène discutable qui refuseront d’écouter les mêmes trucs qui passent à la radio et qui préféreront écouter les trois mêmes accords de guitare saturée sur une boite à rythme nulle en se disant que c’est ça la vraie musique.

F.A. : Ne seriez-vous pas punks vous-mêmes ?

I.C. : On est plutôt punk par procuration, on paye des gens pour qu’ils soient punk à notre place.

F.A. : Les Rois de la Suède sont-ils des nostalgiques ?

I.C. : Nostalgiques non. Est-ce qu’on préférait quand les pauvres votaient à gauche ? Sans aucun doute. Est-ce qu’on est curieux de voir dans quel type de marasme l’individualisme forcené va nous faire aboutir ? Un peu quand même. On dit que l’histoire se répète mais on est dans un contexte d’extinction assez inédit.

F.A. : Il serait amusant de compter les points Godwin qui égayent l’album. La figure du nazi est celle du méchant incontestable et ultime. Est-ce qu’il vous sert pour appuyer le fait qu’on accepte quotidiennement l’inacceptable ?

I.C. : Ce n’était pas voulu à la base. Mais on trouve que c’est tellement facile de discréditer les arguments des gens juste parce qu’ils évoquent le nazisme. Parfois c’est juste complètement justifié. Le point Godwin on a envie de lui dire alors : « c’est toi le nazi ! ».

F.A. : Des études (Voir l’ouvrage L’archipel français de Jérôme Fourquet) expliquent que le projet commun de la France était maintenue jusqu’alors par deux matrices principales : d’une part la religion Catholique et de l’autre part les syndicats ou le PCF pour ce qui est de la classe ouvrière. Pour ce qui est de la gauche, nombre de vos chansons ont déjà fait le constat de sa crise. Par contre, dans Punk Rock Academy, plusieurs sujets abordés raillent ces réactions à la perte d’influence de l’Eglise (sur la souffrance animale, sur les femmes… ). Cela se traduit par un durcissement autour d’une idéologie conservatrice. N’y a-t-il pas là matière à malgré tout être optimiste pour l’avenir de la chanson humoristico-punk ?

I.C. : Globalement entre l’hystérie libérale/anti-écologique et le conservatisme puritain/nazillon, on peut raisonnablement penser que le futur ne nous réserve pas que des bonnes surprises.

François Armand

Les Rois de la Suède  / Punk Rock Academy (France | 23 novembre 2018)

 

 

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