Dans les salles obscures Franciliennes se produisent ces temps-ci certains phénomènes étonnants. Fin mars à l’EMB de Sannois par exemple, tout un pan de culture pop que l’on pensait oubliée a été ressuscité. Le prodige s’est fait à travers une réinvention singulière, celle d’une variété française que l’on pensait réservée aux soirées à thème et aux rétrospectives télévisuelles.
Si Voyou n’y fait pas explicitement référence, la variété infuse pourtant sa musique. Ce serait une musique de parents, redécouverte par un enfant devenu grand, celui-ci acceptant enfin une musique pour ce qu’elle est, c’est-à-dire détachée de son association fatale avec le monde des adultes. Assumant pleinement des chansons pleines d’une apparente simplicité et de candeur, refusant toute prétention liée à une tradition littéraire hexagonale qui attend d’une chanson qu’elle soit forcément profonde, Voyou vole l’expression directe du rap dans des morceaux pop délicats, à l’électro discrète. Un écrin luxurieux et toujours circonstancié accompagne à chaque fois des textes doux-amers, agrégeant mélodies et influences avec nonchalance. L’artiste veut une musique qui soit à la fois capable d’être comprise immédiatement tout en étant chargée de complexes subtilités (polyrythmie, apports discrets de la bossa et du jazz…). Sur scène il s’amuse, joue de la guitare, de la basse, du trombone et danse de manière improbable. Rien ne semble vraiment n’avoir d’importance et tout parait facile pour Voyou. Pourtant les années de conservatoire et une certaine gravité sont là, pudiquement effacées derrière un grand sourire.
A ce jeu, Cléa Vincent s’impose elle aussi comme actrice d’une tendance dont les racines s’ancrent dans cette époque un peu disco, faite de chansons parfois simplettes, de paillettes et d’émissions Elyséennes le samedi soir. D’ailleurs, l’artiste le revendique par sa reprise de Dalida. Bien plus qu’un simple dépoussiérage, « Femme est la nuit » devient complètement pop. Vieille chanson qui aurait pu passer pour ringarde, elle se transforme en un objet brillant et contemporain sous l’égide de la Parisienne. Même goût pour la langue française mêlée d’histoires simples, même propension à faire bouger les corps en mélangeant gravité et fraîcheur, même envie de sanctuariser le samedi soir des années lycée, la futilité et l’insouciance de la fête.
C’est donc logique de retrouver ces deux artistes partageant la même scène le temps d’un duo (la chanson « Maldonne ») et proposant sur leurs deux sets, le temps d’une soirée, une parenthèse légère et pétillante. Surtout, c’est un esprit enfantin, revendiqué comme naïf, qui est célébré. Le renouveau de cette variété vient du ton employé, définitivement affecté par l’air du temps, désabusé ou mélancolique face à la modernité (par exemple « Serre » sur le climat pour Voyou ou « I-R-L » sur la digitalisation de la société pour Cléa Vincent). Une mystérieuse magie transforme donc la bande-son désuète des trajets sur route nationale (aux endroits où Nostalgie est la seule radio captée) en électro sophistiquée rayonnant dans les nuits sans sommeil de la capitale.
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François Armand
Voyou / les bruits de la ville (France | 15 février 2019)
Cléa Vincent / nuits sans sommeil (France | 1 mars 2019)