La contribution de la Roumanie au metal était – jusqu’alors – essentiellement connue pour les productions du groupe Bucovina, groupe de folk metal comme il en existe tant, recentrée autour d’un passé supposé épique (le nom du groupe vient de l’ancienne province de Bucovine, un peu comme si Gojira s’appelait Gascogne ou Chalosse). Septentrion, leur dernier album, paru à l’automne 2018, se trouve dans un courant fortement influencé par les Scandinaves façon Amon Amarth. A l’image d’un artwork représentant le visage d’une mythologie menacée d’oubli, Bucovina s’érige en héraut en faisant resurgir les brumes d’un imaginaire teinté d’heroic fantasy à grand renfort de riffs barbares et de mélodies gonflées à bloc. Mais si solidité et virtuosité légitiment pleinement l’aura du groupe, cela ne suffit pas à faire ressortir le caractère vraiment singulier du projet.
Œuvrant dans l’ombre depuis quelques décennies, Dirty Shirt attendait son heure pour se faire connaître. En débarquant d’une région, tout près de l’Ukraine, historiquement plurielle (Hongrois, Ukrainiens, Tziganes constituent avec les Roumains la population locale bigarrée) dans un esprit furieusement rock et en quête de la réinvention d’une identité, les Transylvaniens fusionnent sans complexe le metal le plus lourd avec un folklore traditionnel Roumain retro. Sourds au fracas des batailles antiques, Dirty Shirt préfère s’ancrer dans un présent qu’il serait nécessaire d’enchanter. Ne reculant devant aucun subterfuge pour insuffler une énergie communicative, le groupe prend tout : du violon aux machines délivrant un son sous stéroïdes, d’un chant hurlé puissant aux ritournelles reprises par des chœurs d’enfant, et – tout comme Bucovina par ailleurs – Dirty Shit ose le chant dans sa propre langue. Avec hargne mais sans colère, Dirty Shirt impose sa puissance avec une bacchanale Slave pleine de générosité.
François Armand
Bucovina / septentrion (Roumanie | 8 décembre 2018)
Dirty Shirt / letchology (Roumanie | 8 mars 2019)
