Il y a des bribes de Gaspar Noé dans le cinéma de Camille Vidal-Naquet : caméra parfois agitée (voire stroboscopique), personnage déterminé et jusqu’au-boutiste, sublimation de la marginalisation… Et puis ce dernier plan superbe, qu’on pourrait presque voir comme un hommage au final d’Irréversible. Qu’est-ce qui différencie alors les deux réalisateurs ?
D’abord, Camille Vidal-Naquet a un sens du portrait et de la narration qu’a abandonné Noé depuis Irréversible, précisément. Car si Léo, toxicomane, analphabète, SDF et prostitué, ne cherche que rarement à provoquer la sympathie, il est aussi capable de tendresse (avec un vieil homme lettré) ou d’empathie (lorsqu’un « concurrent » se fait battre, presque à mort, par l’un de ses amis). Et c’est cette dualité qui rend Léo si attachant. Mais par-dessus tout ce sont la grâce et la beauté (même la douceur à l’occasion) qui effleurent entre deux scènes glauques – parfois même en leur sein – qui nous éloignent de la radicalité cathartique de Seul contre tous, Irréversible ou Enter the Void. Camille Vidal-Naquet, contrairement à Noé, laisse respirer ses personnages : une embrassade au cours d’un examen médical, un shoot tranquille dans le silence des toilettes d’un hôpital, une partie de foot ou des regards complices entre deux clients… Mêmes rattachées à un contexte pour le moins sordide, ces brèves bouffées d’air sont de subtils contrepoints qui démontrent que Vidal-Naquet est beaucoup plus proche de l’étude de moeurs que dans le film « coup de poing » à moindre frais.
La portée politique de Sauvage n’est pas à négliger non plus. En dehors du fait que la nudité masculine est trop rarement mise en scène et qu’elle y est ici également sublimée et martyrisée, le propos même de Sauvage pourrait être lue comme une réponse détournée et provocatrice au député LREM Sylvain Maillard, qui assénait il y a quelques mois que « la majorité des SDF dormaient dans la rue par choix ». Oui, Léo, assume totalement de dormir dans la rue, comme il assume d’ailleurs son statut d’homosexuel qui se shoote et vend son corps. Autrement dit, il envisage comme normalité ce que d’autres considèrent comme marginalité. C’est dans le même ordre d’idée que, lorsque l’on demande à Léo pourquoi lui embrasse ses clients (a contrario de ses collègues qui voient dans l’absence de baiser une règle à ne jamais transgresser), il répond que ça ne le dérange pas. Quand on lui demande s’il a l’intention d’arrêter le crack, il oppose un « pourquoi faire ? » retentissant. Léo teste les limites de son animalité. Et quand il les a atteintes et qu’il passe de l’autre côté du miroir par la grâce d’un amant fortuné et amoureux, il est trop tard, l’indifférence des autres l’a déjà emmené trop loin : son retour au monde est impossible.
François Corda
| 29 août 2018| France