GET THE SHOT
interview

Revue« Vous êtes un îlot de résistance contre la bêtise humaine ! » telle fut l’une des phrases scandées par les Québécois de Get The Shot en déboulant sur la Warzone, donnant ainsi le ton de la vague à venir. S’ensuivra une marée de rage et d’énergie qui n’épargnera personne et laissera des festivaliers hagards en se retirant. Plus tard, dans le calme feutré de l’espace presse du Hellfest, le Bub retrouve J-P (chant) et Dan (basse), tout sourire et très accueillants, pour parler de leur approche de la musique et plus particulièrement du hardcore.

François Armand : La première émotion qu’on a en écoutant Get The Shot, c’est la colère. Qu’est-ce qui la nourrit chez vous ?

J-P : Les raisons de la colère …

Dan : A ne pas confondre avec les raisins !

J-P : C’est sûr que, évidemment, le principe premier c’est que quand tu fais du hardcore ou du metal, t’es pas censé faire ça si t’es pas fondamentalement fâché, si t’es pas fondamentalement désespéré ou ennuyé par quelque chose de viscéral. Je pense que Get The Shot ne fait pas exception. Pour ma part lorsque j’écris des textes, le but est de donner forme à une souffrance fondamentale, des interrogations qui sont sans réponses et qui donnent un peu de sens à ce qui n’en a pas dans le monde. Pour moi, cette colère là est salvatrice parce que c’est toujours quelque chose qui te permet de te mettre à l’épreuve, et puis de te dépasser, et puis te permettre de devenir autre chose. Ce n’est pas de la colère au sens de quelque chose de nihiliste qui serait purement négatif. C’est vraiment constructif, c’est vraiment quelque chose de positif au final. C’est cathartique à la limite.

Dan : Je crois qu’un jour si on se pacifie à l’intérieur, si on est tous bien pacifiés, je ne crois plus qu’on va ressentir encore le besoin de faire du hardcore. On va aller faire un autre truc, on va se plonger dans d’autres projets artistiques. Je crois qu’en étant pacifié, la raison d’être de jouer de la musique autant violente et viscérale ne sera peut-être plus.

F.A : Si un jour vous avez envie d’essayer des choses un peu plus … positives. C’est pas le bon terme du coup ?

Anthony André : Moins politique ?

Dan : Non je comprends. Une personne qui est totalement 100 % heureuse, qui est satisfaite de tout, de son quotidien, qui est vraiment pacifiée à l’intérieur, je crois que ça transparaît, même si elle apprécie l’esthétique de la musique hardcore, je crois que ça transparaît sur scène ou dans la création que ce n’est pas motivé par une rage fondamentale.

J-P : Et puis de toute façon, c’est quoi le bonheur ? Le bonheur, comme disait Albert Camus, c’est d’imaginer Sisyphe heureux. Sisyphe, c’est celui qui roule son rocher et qui est heureux du fait qu’il est en train de souffrir pour le restant de ses jours. Pour moi le bonheur, ça a toujours été ça. C’est canaliser le tragique.

A.A : Du coup le hardcore, dans le monde dans lequel on vit, avec sa complexité et tout ce qu’on a à lui reprocher, est-ce que c’est le bon mode de livraison ?

J-P : C’est une réponse. C’est une réponse qui critique, puisque je pense que c’est fondamental dans ce sens-là.

Dan : Est-ce que ça peut changer les choses ? Ca c’est autre chose, mais il y a une réponse et il existe.

F.A : Quand on s’intéresse à vos textes, il y a énormément de choses qui nourrissent la réflexion (*). Est-ce que des fois le mur du son ne prend pas le dessus sur ce fond ? Surtout en festival ?…

J-P : C’est juste pour le contexte du festival. Mais je pense qu’en général, si on prend toutes les formes de musiques extrêmes, c’est très facile de fétichiser ce genre de musique là, et puis d’en faire une marchandise parmi tant d’autres. Ce qui fait en sorte qu’on en dilue le sens. Ca devient de la musique commerciale au même titre que d’autres types de musique. Je pense que c’est là le danger justement, c’est extraire la substance de cette musique pour que ça devienne une espèce de coquille vide. Dès que ça crie, dès que ça joue fort, dès qu’il y a des guitares distorsionnées, on va dire « wahou, c’est du metal ». Mais pourquoi les gens crient, qu’est-ce qu’ils crient exactement ?… Souvent ça finit par se perdre dans l’image du rocker. Ca pour moi c’est problématique, c’est quand même ce qui différencie justement le hardcore de la plus grande catégorie du metal. Le hardcore se doit justement d’être un peu plus éclairé. C’est pour ceux qui ont un positionnement politique, ou social, ou simplement critique qui est beaucoup plus clair que d’autres sous-cultures. Ce côté-là, malheureusement, est aussi en train de se perdre à certains égards. Et puis le hardcore a à réfléchir sur sa propre pratique, il faut qu’il soit réflectif, il faut qu’il soit capable de se poser des questions : « est-ce que je ne commence pas à être moi-même partie prenante de la barbarie que je critique ? ». Ca se pourrait effectivement. Comment ça se passe le hardcore critique ? Ca passe d’abord par le discours, puis ça passe par la narration. Pour moi entretenir une conversation avec son public, c’est important. Je n’aime pas sortir d’un show hardcore en me demandant « est-ce que j’ai appris quelque-chose ou pas ?  Pourquoi le chanteur n’avait rien à me dire ? Pourquoi il ne m’a pas transmis quelque-chose ? ». Si je ne sors pas d’un show hardcore avec un concept, une idée, une question, une frustration en tête, pour moi je ne suis pas allé à un show hardcore. J’ai juste vu des gars qui faisaient semblant d’être fâchés et puis c’est tout. Moi j’ai besoin de quelque chose d’autre et on essaie tant bien que mal de le mettre en pratique.

Dan : Nous avons commencé vraiment dans un bassin DIY, vraiment des petites salles, des petites communautés super fermées de hardcore kids. Quarante personnes dans une salle qui crie, qui gueule. Mais je trouve que maintenant, avec notre parcours, ce qui est bien, c’est qu’on continue à entretenir un certain message cohérent à des audiences qui sont plus grandes encore, et je crois que ça a sa place. A travers tous les autres groupes, je crois qu’il y a encore la place d’avoir un message sur scène.

F.A : On a entendu en France un philosophe Canadien qui s’appelle Alain Denault, je ne sais pas si vous connaissez …

J-P : Ouais, absolument.

Dan : (en désignant J-P) Vous savez qu’il est professeur de philosophie ? Il fait son doctorat …

F.A : Alain Denault a théorisé sur l’ « extrême-centre » et la médiocratie. N’est-il pas plus dur aujourd’hui de lutter contre l’extrême-centre que contre un système qui montrerait plus son visage ?

J-P : C’est facile d’y sombrer et par ce fait même, de favoriser l’extrême-droite. C’est ça le problème. Alain Denault, ce qu’il montre c’est qu’au final, favoriser des politiques populistes ça revient toujours à favoriser l’extrême-droite. Celle-ci devient toujours plus forte car elle ne fait juste que jouer sur les peurs ou les craintes irrationnelles de la population. Même dans la musique, c’est comme ça. Mais ça se traduit d’une autre manière, c’est-à-dire que les groupes, par peur de frustrer un certain public, ou par peur de les perdre, de s’aliéner une certaine partie du public ne vont pas utiliser leur tribune pour adresser des sujets qui seraient importants, utiliser leur tribune d’une manière critique qui serait favorable, parce que c’est un privilège que d’être sur un stage, puis d’avoir 10 000 personnes devant soit qui t’écoutent. C’est un privilège qui devrait être utilisé de manière éclairée. Malheureusement, il n’y a pas assez de groupes qui en font un usage éclairé de cette tribune là. Cette fameuse politique de l’extrême-centre, d’un point de vue esthétique et de l’industrie culturelle, c’est toujours présent et ça toujours été comme ça. L’industrie culturelle (contrairement à ce que j’appellerais peut-être l’art authentique), crée des marchandises. Tout est uniformisé au nom d’une valeur universelle stable qui est le capital. C’est une marchandise et ça a un prix. Point final, c’est tout, c’est rien d’autre que ça. Quand la musique devient un objet de consommation, elle se neutralise. Elle devient, au même titre que la politique de l’extrême-centre, quelque-chose qui est fat, quelque-chose qui n’a pas d’impact, qui est toujours au service de l’ordre établi, jamais au service des révolutions. Le danger, surtout encore une fois dans des sous-cultures comme le hardcore et le metal, c’est de résister à cette tentation, celle du consensus absolu. Il faut briser les barrières, il faut susciter des débats. C’est correct qu’on n’ait pas les mêmes valeurs, puis c’est correct qu’il y ait des débats, des chicanes et puis justement qu’on puisse en parler. Il faut quand même susciter un débat, sinon il y a un problème.

F.A : Une fois que la colère est passée, comment on fait pour changer le système ? Nous on est de rêveurs …

Dan : (rires)

J-P : Vous êtes des rêveurs et nous on est des musiciens, on n’est pas mieux. On n’est pas des militaires, c’est là la nuance.

Dan : J’aime une phrase qui dit en substance : « je peux toujours te parler de mes convictions, , à la fin de la journée tu pourras toujours me juger en regardant mes Nike ». Tu comprends ? Des fois ma volonté, mon speech politique ou ce que je pense va toujours s’arrêter que je me compromets dans la commercialisation ». « Regarde j’ai mes Nike au pied ». Ben ça c’est la phrase que je cite toujours pour vouloir dire que le pouvoir de changement … Je sais pas …

A.A : est-ce qu’éclairer 10 000 personnes comme ce matin, ce n’est pas déjà suffisant pour changer les choses ?

J-P : Ca n’a pas de prétention politique, il ne faut pas non plus se leurrer. On peut parler de politique et on peut avoir des discours critiques, mais il ne faut pas penser non plus que ça change le monde en soit. Tout ça pour moi, soit c’est illusoire, soit c’est idéaliste. Je pense qu’il faut quand même bien distinguer les deux. Cependant, là où c’est intéressant la musique, c’est que c’est un excellent véhicule pour piquer la curiosité intellectuelle des gens. Moi j’ai commencé à m’intéresser à la géopolitique, puis à la philosophie en lisant des textes de groupes comme Trial, comme Sick of it all, comme Warzone …

Dan : Propagandhi

J-P : Ce sont des groupes qui abordent justement des problèmes sociaux qui sont majeurs. Je pense que la musique a un rôle à jouer. C’est un rôle de pédagogie. Je vais prêcher pour ma paroisse mais je pense que la première étape, c’est une étape de pédagogie. Il y a des gens qui font du militantisme. Ca c’est cool, c’est des gens de rue, c’est des gens de terrain. Mais cette pratique-là doit aussi être éclairée par la théorie. Je pense qu’il ne faut pas délier les deux. La musique est du point de vue de la théorie plus que du point de vue de la pratique. Elle est là pour éclairer, donner une impulsion critique à la pratique en tant que telle. S’il y a un rôle politique de la musique, ce serait celui-là. Laisser voir la possibilité de quelque chose d’autre. S’il y en a qui veulent le réaliser, ben ce sont des gens qui s’engagent politiquement, mais ça c’est une autre histoire.

Dan : Je trouve ça bien d’aller un peu en profondeur, comme ça, mais à la fin, au bout du compte, si on fait de la musique c’est aussi pour le spectacle. On adore la scène, on adore jouer devant des masses, des foules comme ça. Je ne suis pas là en me disant : « Je m’en vais convertir 20 000 personnes ! » … Non.

A.A : Les femmes sont assez peu représentées dans le Hellfest, on a cru comprendre que chez vous sur la scène canadienne, elles étaient beaucoup plus représentées qu’ici ?

J-P : Pas plus qu’en Europe, pas plus qu’aux Etats-Unis. Je pense que c’est un problème universel. Je pense que c’est pour qu’il est important de rappeler que nos scènes sont inclusives. C’est pas seulement le rappeler, il faut que ça se traduise dans des actes concrets. Laisser la place à tous les genres sexuels pour pouvoir s’exprimer aussi. Il y a aussi tout un travail de démachisation dans le hardcore, il y a ce stéréotype des gros durs, des gros bras, là. Du brotherhood un peu vicieux qui est encore accolé à cette musique. Ca commence à se dissiper tranquillement, il y a eu des groupes, par exemple comme G.L.O.S.S., qui était un groupe de transgenres qui ont réussi à transcender le stéréotype. Il y a de plus en plus de groupes comme ça, et je pense qu’avec les années, ça va aller de mieux en mieux. Ca suit aussi une certaine vague politique, un mouvement social aussi, qui est plus inclusif.

Dan : On a toujours eu un speech qui était conséquent à cette idée. Je crois que c’est de créer un environnement qui est déjà safe dans les spectacles. Lors de notre dernier lancement, j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de femmes, de plus en plus. Il y avait aussi une personne que je pourrais considérer comme non binaire sexuellement parlant, je sais aussi qu’il y avait aussi des homosexuels, et ce que j’aime, c’est qu’ils savent qu’en venant à un concert de Get The Shot, c’est un endroit qui est sécuritaire pour eux. Si au moins on est capable de faire ça, je pense que ça passe par là, et de laisser savoir qu’on fera pas le combat à leur place, mais qu’on épaule leur lutte.

J-P : Je pense que ce qui est important c’est de donner la parole aux filles, pas de demander à des gars « c’est quoi la place des femmes ? » … (rires)

* : voici quelques extraits des textes en question :

Expiation : « And every failure justifies the epitaph on my grave / “He was a good man just not enough to keep him safe from himself” »

Ce que l’on pourrait traduire par « Et chaque erreur justifie l’épitaphe sur ma tombe / « Il fut un homme bon, mais pas assez pour se protéger de lui-même » ».

Faith Reaper : « I struggled and I FAILED / To find some peace in this mess / While reason slept on its deathbed »

Soit : « Je me suis battu et j’ai échoué / à trouver un peu de paix dans ce bordel / tant que la raison dormait sur son lit de mort. »

Slayed Kings : « BURN DOWN / Every flag of this nation raised to fear / TEAR DOWN / All the walls they have built to keep us in … »

En Français : « Brûlez / tous les drapeaux de cette nation élevée dans la peur / Pleurez / tous ces murs qu’ils ont construits pour nous garder dedans … ».

 

 

François Armand

 

Get The Shot  / Infinite Punishment (Canada | 4 août 2017)

 

 

bub

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