DISIZ LA PESTE
pacifique

DuelDisiz La Peste n’est pas dans le cadre. Ou alors trop. En tout cas, il ne laisse pas indifférent et dix sept ans après « J’pète les plombs », Pacifique est là pour prouver qu’on peut venir du rap et ne pas y rester, que l’expérience n’est pas forcément synonyme de zone de confort. Les deux François ne s’entendent pas forcément sur le résultat de cette « reconversion » pour autant.

François Armand : On peut critiquer Pacifique, le dernier album de Disiz, via deux aspects. D’une part la forme et ensuite le fond. Commençons par la forme. La production type Stromae déferle sur le rap Français. A la longue on peut trouver ça indigeste et surfait. Qu’en penses-tu ?

François Corda : La production Stromae on ne la retrouve pas sur la totalité du disque, loin de là, puisque le belge n’intervient que sur deux titres, « Splash » et « Compliqué ». Dans le premier cas, c’est très réussi, ce que Stromae fait de mieux, dansant, décalé et sombre. Dans le second cas c’est raté, ça ressemble à du Franky Vincent, mais on le doit aussi Disiz, qui, comme souvent, se révèle très inégal dans la qualité de ses paroles. Si j’ai tendance à défendre Pacifique, c’est surtout pour la grâce de ses instrus et la poisse lumineuse qu’elle projette sur le flow langoureux de Disiz. De ce point de vue, les premier et dernier tiers de l’album sont incroyables. Cette dépréciation de soi-même, c’est très rare dans le hip-hop et ça fait un bien fou !

FA : Oui l’artiste a une vraie sincérité, qui ne s’est d’ailleurs jamais démentie tout au long de sa carrière. J’ai trouvé pour ma part la production trop appuyée pour permettre réellement de s’en détacher et d’apprécier pleinement les mélodies. Un titre comme « Autre espèce » par exemple est assez révélateur : le côté synthétique du son semble en opposition avec ce que raconte l’interprète. Bon, et l’utilisation de l’auto-tune, au-delà d’être une affaire de goût, dessert l’oeuvre. L’auto-tune est pour moi un moyen, un outil, pour illustrer la modernité, donner un marqueur de notre époque. Je respecte le choix de son utilisation, mais dans le cas de Pacifique ça devient un effet de manche, et je n’entends plus l’artiste.

FC : C’est bizarre, tu sembles ne retenir que le verre à moitié vide ! Il faut être clair, Pacifique est réellement imparfait, bourré de petits trucs qui pourraient être rédhibitoires (l’auto-tune façon R’n B, des textes d’une naïveté parfois confondante). Mais l’autre versant de Pacifique, c’est cette sincérité à laquelle tu fais allusion. C’est d’ailleurs très troublant : il passe d’instrus parfaitement (trop) calibrés à l’utilisation de samples glauques que ne renierait pas The Third Eye Foundation (« L.U.T.T.E », par exemple, et ses choeurs hantés). C’est désarmant ! L’auto-tune, lorsqu’il l’utilise comme sur « Radeau », de façon outrancière, ça me plaît. Ce n’est plus la voix de Disiz retravaillée, c’est celle d’un autre, d’un homme affalé sur son canapé, les yeux vitreux, incapable de sortir de chez lui, qui vit tout en slow motion. Ce n’est plus un effet de manche mais un vrai effet de style. Je dois reconnaître que l’effet que produit Pacifique sur moi est très étrange : d’habitude je suis ultra intransigeant avec ces disques de hip-hop trop longs, aux textes parfois aux ras des pâquerettes. Mais Pacifique est traversé de flashs limite géniaux (le piano préparé sur « ADN », la basse fretless de « Poisson étrange », le solo de guitare saturé sur « Autre Espèce »), et surtout cette ambiance décadente, parfois déprimante (« Qu’ils ont de la chance »). Je crois que ce titre en question t’horripile. Pourquoi ?

FA : « Qu’ils ont de la chance » fait partie de ces morceaux qui font l’ambiguïté de l’album. Effectivement si on aborde le sujet du fond, les propos s’avèrent inégaux sur l’ensemble de Pacifique, on l’a dit. Pour le coup, dans ce morceau en particulier, le texte est … c’est encore vrai … trop rare dans le rap français. Par ce sujet rarement traité, le deuil, on aborde le paradoxe où on sent l’artiste tiraillé entre ses racines rap (tu évoquais « L.U.T.T.E ») et autre chose, peut-être de la chanson ou de l’électro. C’est le genre de morceau un peu facile qui parle à tout le monde, du fait de l’approche que chacun peut avoir par rapport à la mort. Pour le coup, l’émotion me passe un peu au-dessus (et de fait je me permets d’ironiser un peu sur le refrain trop pop à mon goût). J’ai bien compris que c’était une pierre angulaire qui concluait l’oeuvre, mais las ! Ca ne marche pas. En définitive, je pense que nos constats se rejoignent finalement sur de nombreux points. Seulement, sur les points considérés comme forts, j’ai du mal à les apprécier et à me laisser faire. Je crois que les défauts prennent le pas sur le reste et m’empêchent d’adhérer.

FC : Je comprends, mais Disiz, s’il gagnerait clairement en crédibilité à être plus concis, a la force de présenter un disque absolument inclassable, par endroits assez repoussant, quand il épouse les codes d’un hip hop en putréfaction (sorte de cousin dégénéré d’un R’n B de supermarché), et souvent brillant, quand il explore le côté obscur de sa force, qui est clairement celle de dire et de faire ce qu’il veut, volontairement à côté de la plaque.bub

François Corda et François Armand

bub

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Disiz La Peste / pacifique (France | 9 juin 2017)

 

 

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