MAKALA
Emmanuel Gras

DeterreMakala pose une question éthique, celle de la distance qu’est censée prendre un réalisateur, ici de documentaire, face au sujet qu’il filme. Ce sujet est ici double puisqu’il s’agit à la fois d’un homme, Kabwita, et d’un contexte, celui d’une pauvreté extrême comme moteur d’un courage surhumain.

En l’occurence, il y a au moins deux raisons d’être irrité, a priori, par la vision de ce véritable chemin de croix que subit Kabwita pour faire survivre sa famille. D’abord, on pourrait d’abord reprocher à Emmanuel Gras, comme l’a fait Camille Bui dans les Cahiers du Cinéma, de céder à un esthétisme flamboyant alors qu’il s’agit ici de filmer une violence absolue, celle de la réduction d’un homme à ses tâches (produire seul son propre charbon pour le vendre sur un marché à 50 km de chez lui, sans autre moyen de locomotion qu’un vélo). On pourrait aussi se demander dans quelle mesure filmer ce calvaire sans se salir les mains (le réalisateur n’intervient jamais de façon visible) ne tient pas d’un penchant voyeuriste : l’envie pour le spectateur d’aider Kabwita est évidemment omniprésente, et on se surprend parfois à rêver, c’est vrai, que la caméra se pose, et qu’Emmanuel Gras vienne en aide à Kabwita pour porter ses sacs.

Mais parce qu’il nous rappelle la situation intenable dans laquelle ces paysans Congolais se trouvent au quotidien, parce qu’il rend notre sentiment d’impuissance intolérable, en tant que spectateur occidental bien confortablement installé dans son fauteuil de cinéma, Emmanuel Gras accomplit son travail de documentariste : ce qu’il donne à voir est implacablement vrai, incontestable, indispensable à montrer, indispensable à connaître. Qu’il y ait un décalage (indéniable) entre l’enfer dans lequel évolue Kabwita et le travail sublime sur la photographie dont fait preuve le réalisateur ne fait finalement qu’accentuer l’injustice dans laquelle il se trouve. Cette nature sauvage, ces gestes puissants et délicats, ces corps maltraités sont aussi beaux à observer qu’insupportables dans ce qu’ils sous-tendent comme souffrance et contraintes.

Enfin, il faut ajouter que Kabwita n’est pas ici seulement montré comme un simple corps qui endure et supporte, mais principalement comme un combattant, un héros, voire même, osons, un super-héros. Ce qu’il accomplit tient de l’impossible, de l’irréalisable. Et ce regard, celui d’Emmanuel Gras, est clairement celui d’un homme admiratif, subjugué même, par un homme simplement hors du commun. Et c’est précisément ce regard, finalement communicatif, qui rend l’indifférence et les humiliations subies Kabwita si révoltantes. C’est la raison pour laquelle Makala a aussi et surtout, au-delà de ses qualités cinématographiques, une fonction de réveil (terrible) politique chez le spectateur occidental.

François Corda

1h 36min | 6 Décembre 2017 | France

bub

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