ZEAL & ARDOR
devil is fine

DeterreTout à coup, au milieu du silence, s’élève une mélopée, seulement rythmée par le tintement des chaînes. Le voyage est immédiat, instantané. Souvent, des images empruntées au voyage sont utilisées pour qualifier une œuvre musicale. Avec Devil is fine, nous voici téléportés à travers le temps et l’espace, probablement dans un Etat du Sud des Etats-Unis, dans l’enfer des champs de coton, peut-être à la moitié du XIXème siècle.

On y retrouve toutes les racines de la musique Noire Américaine : la ferveur des spirituals, la magie inquiétante du vaudou et les promesses d’un blues encore adolescent. On ressent la brûlure des dos courbés au soleil, la morsure du fouet et la sueur sur les fronts. Il y a toutefois une étrangeté qui plane, quelque chose qui rode à la lisière de la scène. C’est latent dans « Devil is fine », qui ouvre le disque. Ca explose dès « In Ashes » qui voit déferler la rage des guitares sous-accordées et le blast de la double-pédale propres au… black metal.

Nous voici aux portes d’un genre qui sent le soufre et Zeal and Ardor, projet de l’Américano-Suisse Manuel Gagneux, dit la chose suivante : voici l’histoire telle qu’elle aurait pu (du ?) se passer ! Les esclaves déportés, plutôt que d’embrasser la religion de l’oppresseur, la refusent avec violence.

On pense alors au cinéma des Tarantino et à ses fantaisies uchroniques tellement réjouissantes : Inglorious Bastard et évidemment Django Unchained en tête ! Car, à travers ses nombreuses références musicales, c’est bien une réécriture de l’Histoire que nous propose Zeal and Ardor, une véritable alternative.

Le black metal vient de Norvège et s’est fondé sur le rejet du monothéisme, coupable aux yeux des turbulents jeunes adultes à l’origine du mouvement, vers la fin des années 80, d’avoir supplanté les anciennes religions païennes et d’avoir imposé sa morale. On peut y lire un besoin d’émancipation ou l’affirmation d’une identité. Gagneux utilise le symbole fort véhiculé par cette musique et l’emploie sans vergogne en la transposant dans un contexte radicalement différent.

Il serait cependant trop simple de résumer l’album comme une simple agrégation constituée de gospel et de metal. En ce cas, on pourrait aisément parler d’une simple posture pour être à la mode, tant les tentatives avant-gardistes se font nombreuses en ce moment. Non, en progressant davantage dans l’écoute de l’album, on se convaincra que le genre est important pour ce qu’il véhicule. Bien souvent, les éléments metal sont uniquement rappelés en filigrane, comme sur « Come on down ». De nombreuses autres surprises participent à la singularité de l’album, comme une étrange messe électro sur l’intermède « Sacrilegum I », des blues tourmentés à la forte odeur de jazz (par exemple sur « What’s a Killer like you gonna do here? ») entrecoupés de douces ritournelles (« Sacrilegum II » et III).

Impossible donc de résumer cette œuvre dans sa complexité. C’est le processus de transformation qui compte. L’Oncle Tom n’est plus une victime expiatoire, Django s’affirme et pactise avec le Diable. Qu’importe le moyen, le son puise son énergie dans l’authenticité de son origine pour devenir une sorte de monstre polymorphe. Celui-ci s’endormira un peu plus tard, enfin rasséréné. Reste une production d’une inventivité folle qui bondit avec aisance dans les codes sans se soucier des frontières, quitte à ouvrir des portes sans vraiment les refermer. Qu’importe, Devil is fine est une réelle expérience jouissive qui ravira toutes les oreilles en quête d’étonnement.

François aRMAND

 

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Zeal and Ardor / devil is fine

Date de sortie : 24 février 2017

 

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