THELMA
Joachim Trier

DuelJoachim Trier nous avait enchanté en 2011 avec Oslo, 31 Août. N’ayant pas vu Louder than Bombs, Ivann et François retrouvent le réalisateur Norvégien avec Thelma, nouveau long métrage aux allures de conte fantastique. Pour le meilleur… ou pour le pire ?

Ivann Davis : Malgré un changement de cap de la part de Joachim Trier, on retrouve cette mélancolie qui traverse ses précédents films, ses personnages en marges, blessés par la vie et qui tentent de s’adapter. Joachim Trier ne trahit pas son cinéma et propose une relecture d’un genre fantastique bien connu, les jeunes gens aux pouvoirs télékinésiques ou surnaturels. Mais l’intérêt de Thelma se joue à plusieurs niveaux et dépasse largement son contexte fantastique. Il s’agit aussi d’une chronique sociale, l’histoire d’une jeune femme dont le poids de la famille et le rigorisme religieux va s’avérer traumatique à l’âge adulte dans son rapport aux autres et sa sexualité. Le film joue sur différents tableaux.

François Corda : Oui, trop de tableaux d’ailleurs, et c’est sans doute pour ça qu’il échoue dans (à peu près) tous les domaines. Chaque tableau est plutôt une esquisse, et repose sur des poncifs (cf. la scène un peu gênante du bar où Thelma met un camarade de classe dans l’embarras quand ce dernier remet en cause ses convictions religieuses). Comme dans Love Hunters, on sent un potentiel énorme qui est à peine développé. Reste l’affection que porte Trier à Thelma, personnage très bien interprété, je l’admets volontiers. Mais à vouloir jouer sur tous les fronts Trier se perd dans sa narration et peine à convaincre. Cette histoire je n’y ai pas cru une seconde, ou presque, dés qu’elle sort du cadre familial. C’est dommage parce que c’est sans doute ce que le réalisateur norvégien maîtrise le mieux : l’intimité.

ID : Thelma est un personnage ambigu, à la fois victime et bourreau, souffrant constamment de cette dualité. On ne sait jamais s’il faut la plaindre ou la condamner. Un personnage très bien écrit et en effet remarquablement interprété par Eili Harboe dont la fraicheur contrebalance avec son côté toxique. On pense inévitablement à Carrie, on retrouve d’ailleurs les mêmes camarades de classe moqueurs, une scène humiliante avec un fluide, les parents castrateurs, les dérèglements corporels liés aux émotions fortes etc. On pourrait presque y voir une relecture nordique et moderne du film de De Palma avec un côté auteurisant et poétique en plus. Loin d’un remake Hollywoodien sans saveur, Joachim Trier lui rend le plus bel hommage !

FC : Oui c’est une relecture de Carrie, assez personnelle je le reconnais, ce qui ne signifie pas qu’elle est réussie. Thelma manque de profondeur, manque de visions aussi : toutes les scènes fantastiques m’ont semblé ratées. Du point de vue des effets spéciaux et des symboles, c’est très très lourd. Le serpent qui symbolise le sexe masculin, on repassera question finesse… C’est dommage parce que les scènes en tant que telles sont les meilleures du film esthétiquement parlant. Un point très intéressant reste à mon avis l’innocence de Thelma. Ce qu’elle produit de façon télékinétique est inconscient (sauf à la fin du film) mais jamais on ne sent cette colère en elle, cette dualité, ou alors très peu (je pense à la révolte face à ses parents, qui survient de façon assez passive finalement, et à son désir sexuel). Il y aussi, je le disais précédemment, un problème de crédibilité : sans référent rationnel (personne qui remette en question ses pouvoirs finalement) l’aspect fantastique ne prend pas. La scène d’hospitalisation, littéralement une citation de L’Exorciste, ne suffit pas à perturber la croyance du spectateur. J’ai besoin, quand je vois un film fantastique, de m’identifier à un personnage qui ne veut pas croire ce qu’il voit mais qui est contraint, par la force des choses (et la qualité de la mise en scène et du scénario) d’admettre l’impossible. Là, Trier nous demande d’accepter tout de suite l’idée que Thelma a des super pouvoirs. Très peu pour moi. Quant à l’aspect religieux, il est traité à la va-vite, avec une scène très courte dans une église et celle, déjà évoquée, du bar. C’est trop peu, et surtout trop facile ! Cela ressemble plus à de la moquerie de la part de Trier qu’à une vraie critique construite.

ID : Puisque tu évoques les symboles, la dimension naturaliste est aussi très importante. A l’image des corbeaux, du serpent ou même l’oiseau sur l’affiche du film, nombre d’éléments symbolistes renvoient à la nature, une nature inquiétante ou salutaire comme ce lac qui se transformera à la fin en tombeau. Si on rajoute à cela le puritanisme et ses personnages taiseux, Thelma assume clairement son côté nordique. On assiste bien trop souvent à une homogénéité dans le cinéma d’horreur, j’aime les films d’horreur qui affirment leurs identités, comme Morse (Suède) ou Sauna (Finlande).

FC : Morse m’avait un peu déçu à sa sortie, mais je reconnais, plusieurs années après sa sortie, qu’il a le grand mérite d’avoir remis en cause certains codes du mythe vampirique (traitement par l’angle d’adolescents, le vampire féminin, l’environnement nordique). Tu parles de naturalisme mais Thelma se passe quasi exclusivement en ville ! Du coup, c’est encore un aspect qui n’est qu’effleuré par Trier.

ID : Pour finir on constate depuis quelques années, que le lesbianisme fait un retour au cinéma, on pense à La vie d’Adèle (2013), Carol (2015) ou Mademoiselle (2016). Ce sont tous des réalisateurs et ce n’est pas étonnant, ils abordent ce thème sous les mêmes angles, le désir, l’interdit et la sensualité, une vision fantasmée et ancrée dans l’imaginaire masculin, qui commence un peu à me lasser. Heureusement ce n’est pas central dans le film, Thelma n’est pas une histoire d’amour. Et si en vérité le réalisateur ne posait qu’une seule question : comment supporter le poids du passé ?

FC : C’est le meilleur moment du film, cette rencontre et cette découverte de sa grand-mère, et le secret qui pèse sur sa famille. Scène éphémère et par la suite presque ignorée par Trier puisque cette révélation, si elle a une incidence indéniable sur le récit, ne provoquera aucun remous dans la cellule familiale. Le mutisme suédois frappe encore, si j’ose, moi aussi, l’utilisation de poncifs. Oui Thelma aurait sans doute mérité, soit un traitement plus radical (on est loin, au final, de la grande orgie de Carrie) soit une approche sociologique plus poussée. Coup d’épée dans l’eau, en ce qui me concerne!

Ivann Davis et François Corda

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Thelma de Joachim Trier (Suède ; Norvège ; Danemark ; France, 1H56)

Date de sortie : 22 novembre 2017

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