ISAAC DELUSION
interview

RevueProfitant du passage d’Isaac Delusion à l’EMB de Sannois, lieu de leur première résidence – ce qu’ils rappelleront pendant le concert qui aura lieu quelques heures plus tard – le BUB s’immisce en coulisse pour échanger quelques propos sur la pop et ce qui habite le groupe depuis ses débuts. Loïc et Jules, armés tous deux d’une tasse de thé, présentent leur nouvel album Rust and Gold et reviennent sur leur parcours.

François Armand : Pour la conception de Rust and Gold, vous avez travaillé au Point Ephémère en autarcie pendant un an. Quel fut le processus créatif ?

Jules : Il est très varié en fonction des morceaux, il y a des morceaux qui sont nés quasiment dans le studio, sur place avec nous cinq. On partait de quasiment rien et ça se construisait comme ça. Sur d’autres morceaux par contre, il y avait déjà des bases et des maquettes. Loïc a apporté la majorité des maquettes de l’album, qu’on a ensuite travaillées tous les cinq. Moi j’en avais une ou deux. Lorsqu’on est arrivés au Point Éphémère, il n’y a pas énormément de maquettes qui sont arrivées ensuite. On est partis de tout ce qu’on avait avant et on a construit tout l’album dedans. On a commencé à travailler avec des dizaines de maquettes. A la fin de tout le processus de composition, on avait trente maquettes. On a re-maquetté plein de choses, re-construit et on a sélectionné.

FA : Et du coup pour la sélection, ça a été la vraie démocratie à l’intérieur du groupe ?

Jules : Franchement, j’ai l’impression que oui …

Loïc : Ouais ! Ce qui est bien c’est qu’on a chacun un rôle. Ce qui est assez rare, dans cette formation – j’ai eu un groupe avant, et j’ai l’impression que c’est souvent ça dans les groupes, il y a des conflits d’ego, de créativité, enfin des gens qui se marchent un peu dessus – c’est qu’il n’y a pas vraiment ça. On a tous notre originalité, c’est ça qui crée le son qu’on a, qui est assez à part.

Jules : Avant de parler justement de démocratie ou de choix à prendre, en fait j’ai l’impression que la majorité des cas, il n’y a même pas vraiment de choix à faire. On est plutôt tous d’accord sur la direction qu’on prend. Ca c’est super plaisant. Quand tu commences à travailler avec des gens, t’es pas sûr vraiment que ça va forcément « matcher », même si t’as les mêmes goûts. C’est quelque chose qui s’est fait très naturellement dans le groupe : les gens qui arrivent rentrent dans le délire. Comme le disait Loïc, ils apportent leur personnalité, leur originalité, et ensuite ça devient super fluide. Il n’y a pas de discussion vraiment pendant des heures pour savoir si ça on garde ou on garde pas.

FA : Il n’y a pas de calcul.

Jules : Pas beaucoup, j’ai l’impression.

Loïc : C’est vrai qu’il y a beaucoup de personnages créatifs qui ont tendance à vouloir tout contrôler ou qui ont du mal à lâcher prise. C’est hyper important de savoir lâcher, sinon tu ne sors pas de ce que tu sais faire. Ce qui est agréable dans cette formation, c’est qu’on arrive bien à transformer nos idées, à confier des idées à un autre ou avoir l’ouverture d’esprit de ne pas tout vouloir contrôler.

FA : Il y a eu tout l’épisode du 1er album, au moment d’attaquer le 2ème, vous êtes-vous mis une pression particulière ? Vous sentiez-vous attendus ?

Jules : Il y forcément un petit peu de ça, sauf que j’ai l’impression que pas du tout. Quand on a commencé le 2ème album, on s’est dit : « on ne veut plus de morceaux comme « She pretends » ou des titres ultra-pop. On voulait un album un peu soul et bien indé. Du coup je pense que si on s’était mis vraiment une pression, on se serait dit non. Les trucs trop ternaires, trop lents, on va éviter, on va essayer de faire des truc plus pop, plus joyeux. J’ai eu une impression de sérénité en disant « là on fait ce que l’on veut ». En plus, on était en licence chez Warner pour le 1er album, là on est redevenus complètement indépendants. Ca été la liberté, il n’y a jamais eu de trucs trop sages.

FA : Travailler avec le label Microqlima correspondait plus à votre approche …

Jules : Oui. On a toujours fait la musique comme on voulait, on n’a jamais eu de directeur artistique, de producteur ou de réalisateur d’album. Toute la musique qu’on fait on la compose et  produit nous-mêmes. Quand tu commences à travailler avec des gens comme Warner, même si on s’était assurés d’avoir le contrôle sur ce que l’on fait, ils sont toujours là à dire : « ben voilà, ça c’est mieux, faites plus des morceaux comme ça ». Il y a quand même une mini ambiance où tu te dis « si je fais un morceau trop chelou, ils vont encore me saouler ». Même si on a toujours fait ce que l’on voulait, à force ça peut être décourageant. Là avec Microqlima, ça fait des années qu’on bosse avec Antoine, notre manager, et vraiment il y avait cette confiance. On savait qu’il allait accepter tout ce qu’on allait faire. On était tranquilles.

Loïc : C’était pas gagné, c’était tout de même un gros pari. On a fait un truc hyper différent. Les 1ères démos n’étaient pas hyper travaillées donc je pense qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont rien compris du tout. Quand les gens de Warner ont écouté les démos, ils ont du se dire : « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?  C’est de la soul en ternaire ». Alors qu’ils veulent de la petite pop, donc aucun rapport. Ils ont du avoir peur, surtout que les démos qu’on leur avait filé étaient des 1er jets sans rapport avec le résultat final. Ca a joué en notre faveur qu’on puisse partir et être indé. Il y a plein de gens qui ont été surpris, mais dans l’ensemble on est hyper contents. Ce que l’on a fait, c’est quand même un tour de force dans le sens où on n’a pas déçu les gens, mais on a fait quelque chose de complètement différent. Ca c’est cool et j’en suis hyper fier. On a montré que oui, on peut faire des choses différentes sans perdre son public. On peut être audacieux. Je crois que je n’ai eu aucun retour négatif. Enfin si, il y a forcément des gens qui n’ont pas aimé, mais en général c’est unanime. C’est un bon album.

Jules : Même les retours de la presse en fait. Les gens qui nous suivaient avant disent que le 2ème est meilleur. On a du mal à être objectif, mais quand on voit ça, on est super contents. On a pas calculé en se disant qu’on allait surprendre les gens. C’était vraiment sincère, et c’est ça aussi. On n’a pas essayé de faire un truc bizarre pour impressionner les gens.

FA : Sur le 1er album, il y avait une sorte de candeur ou d’innocence, forcément beaucoup plus nuancée sur Rust and Gold. Avez-vous ressenti le besoin de vous rappeler l’état d’esprit dans lequel vous étiez en 2012 quand vous avez démarré ?

Loïc : Pas du tout. C’est curieux, car maintenant qu’on a essayé autre chose, on tente de retrouver l’essence originale du projet qui était des morceaux hyper dépouillés. Maintenant, on commence à y réfléchir, mais on avait besoin d’aller plus loin, de montrer ce que l’on savait faire en terme musical. C’est une démarche hyper intéressante de faire un truc différent.

FA : Dans le paysage electro-pop français actuel y a-t-il encore une place pour une musique positive ou insouciante ?

Jules : Tu veux dire que le marché est saturé ?

FA : Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Ma réflexion est plus sur le pouls de notre époque. Au sens où si l’on n’est pas écorché …

Jules : Je suis d’accord. De toute façon on ne reviendra pas vers quelque chose de tout doux et tout cotonneux. Plus simple ou épuré oui. C’est sûr, même nos goûts personnels ont changé. C’est peut-être ce que tu dis, le pouls de l’époque, qui nous emmène vers quelque chose de plus chaud, mais c’est aussi ce que l’on voulait faire avec Rust and Gold. On veut garder cette chaleur qu’on a trouvé dans le son qu’on a, mais revenir à un truc plus épuré, faire un espèce de mélange de tout ce que l’on a touché. On ne reviendra pas à un truc dream-pop.

Loïc : Y a un truc important aussi, c’est que les gens ont écouté notre musique parce que ça leur faisait du bien et c’était positif. Les morceaux étaient positifs comme « Early morning » qui a fait beaucoup de radio. C’est planant, ce sont des bonnes ondes. Dans Rust and Gold, il y a des morceaux qui sont quand même assez noirs, limite un peu torturés, un peu distordus comme « Sinner ». On l’a voulu ainsi car la période correspondait à ça. On s’est dit après qu’en vrai les gens ont identifié notre musique comme un truc positif qui leur fait du bien.

Jules : A l’inverse de ce que tu dis, paradoxalement, les trucs qui ont tendance à marcher dans la pop française, ce sont des trucs vachement plus sucrés, et pas si écorchés que ça. Après dans la pop à proprement parler c’est différent. Dans la niche pop … je ne sais pas comment dire …

Loïc : Déjà je ne sais même plus ce que ça veut dire la pop en fait.

FA : Est-ce que vous avez un rapport à la littérature ? Est-ce que vous avez des influences et comment ça interagit avec votre musique ?

Loïc : Pour écrire les textes, je ne suis pas forcément influencé par mes lectures. Déjà j’écris en anglais, donc faudrait que je lise des bouquins en anglais. J’en lis de temps en temps mais je lis majoritairement en français. Quand je lis en anglais, ça m’aide beaucoup à développer mon vocabulaire. Non, musicalement on est influencés tous les deux par le cinéma.

Jules : La littérature un peu, finalement c’est des images. Les trucs que tu lis, forcément ça t’influence, un peu comme un film. Je sais que le souvenir d’un livre que j’ai, c’est ultra visuel, un peu comme le souvenir d’un film. Je pense que ça se rejoint mais j’avoue que je lis beaucoup moins que je ne regarde de films.

Loïc : Un peu pareil, même si récemment je m’y suis mis un peu plus. J’essaie de lire un bouquin tous les deux mois.

Jules : C’est dur avec Netflix.

Loïc : (rires) ce qui est dur avec la lecture en vrai, c’est que ça ne marche pas si t’es fatigué.

FA : Quand on crée une 1ère œuvre, que ce soit un album ou autre, on y met tout son vécu depuis sa naissance. La difficulté avec la 2ème, c’est qu’on repart à zéro. Y a-t-il des éléments en particulier sur lesquels vous avez pu vous appuyer ?

Jules : Clairement par rapport à ce que tu dis, le 1er album c’était vraiment ça. On a mis tout ce qu’on avait dedans. On a même repris des morceaux des EP, des maquettes qui traînaient depuis super longtemps. Là c’est vrai qu’on est reparti à zéro et c’est un des éléments majeurs de ce 2ème album. C’est de se dire : tout que l’on avait avant, on a fait une croix dessus, on a sorti ce 1er album et maintenant on recommence, là. On fait maintenant un album qui a une cohérence dans le temps, qui a une cohérence dans le son. Tout sera fait dans ce délai d’un an. Et justement à la sortie du 1er album, on trouvait qu’il n’y avait pas du tout assez de cohérence dans le son, entre les morceaux. On cherchait cette cohérence, on écoutait des albums à cette époque là qui avaient vraiment une cohérence dans leur son. Je pense à Alabama Shakes, Jungle, Tame impala. On cherchait cette cohérence et du coup on l’a trouvée justement là dedans. On va tout faire dans un laps de temps court, on va tous s’enfermer en studio. Le temps c’est même l’espace. Un temps super réduit, un espace super réduit, et de là on va arriver à en tirer un minimum de cohérence parce que on ne sera pas éparpillés sur 5 ans, sur 3 studios …

Loïc : Disons que le 1er album était assez naïf. On a beaucoup fait de concerts. On a commencé à savoir de plus en plus maîtriser nos instruments, à avoir de la technique, par exemple dans le fait de s’enregistrer, à avoir des notions de mixage très sérieuses, à savoir beaucoup plus sculpter notre son comme on voulait. On sortait de quasiment 2 ans de tournée où l’on jouait plusieurs fois par semaine. Musicalement on a pris un niveau grâce à ça. Donc on s’est dit : tout ce que l’on a appris on va essayer de le coucher. Même à la voix, j’ai énormément appris en faisant des concerts à la chaîne. Tu développes ta technique, t’apprends à chanter différemment. Sur le 1er album on a fait des grosses scènes, comme les Vieilles Charrues, t’apprends à rentrer dans l’efficacité. Je pense que c’est ça qui a contribué à rendre instrumentalement l’album un peu plus complexe. On s’est fait bien bien mal à la tête à retourner des sonorités dans tous les sens. On n’est pas allés dans la facilité, c’est vraiment un travail d’orfèvre dans le son. Maintenant on sait faire ça, donc ce que l’on va essayer de faire maintenant, c’est retourner à la simplicité.

Jules : C’est vraiment l’éternelle insatisfaction (rires). Une fois que t’as appris à faire un truc, tu fais autre chose. Il y a des gens qui restent dans le même son et dans les mêmes trucs et qui font ça très bien. Ce n’est pas forcément une bonne ou une mauvaise chose. Ce qui est cool, c’est qu’on est vraiment tous les 2 comme ça. Là on voulait vraiment un truc soul sans même se concerter. Là on est parti dans le ternaire, un truc soul et on va revenir vers un truc plus pop. On a les mêmes envies au même moment. Une direction commune, c’est aussi ça qui fait une cohérence d’album. Etre tous d’accord et avoir tous une vision commune de ce que l’on veut faire.

FA : L’album plus travaillé et plus complexe, ça met forcément la barre un peu plus haute pour la prestation live …

Loïc : Oui, ben voilà … (rires, Cédric rentre à ce moment-là)

Jules : On a pris un batteur, Cédric, qui fait des merveilles et bien sûr ça met la barre plus haute en live, et oui on s’est donnés et on avait envie. C’est que du bonheur. Ca fait 2 ans qu’on ne fait que ça, on répète plusieurs fois par semaine, on se tue dans le bon sens pour donner le meilleur en live. Je pense que ça se sent. Je ne sais pas si t’as vu le live sur cet album mais on fait tout pour et c’est de la bonne pression.

FA : à ce soir pour le concert donc !

François Armand

bub

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Isaac Delusion / rust and gold

Date de sortie : 7 avril 2017

 

bub

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