THE SQUARE
Ruben Östlund

DuelThe Square de Ruben Östlund est une palme qui fait polémique. Chez Bub aussi on est divisés. La preuve en mots, pas mâchés, d’Ivann et François.

François Corda : Est-ce que The Square est ta palme 2017 pour l’instant ?
 
Ivann Davis : Pour le moment oui. Je ne sais pas s’il méritait la palme d’or, car je n’ai pas vu les autres films de la sélection mais il ne démérite pas, c’est certains !
FC : J‘ai vu un film très soigné du point de vue de la photo, dans lequel je me suis pas ou très peu ennuyé. Et pourtant je suis sorti très mitigé. Et plus j’y pense, plus je trouve que The Square ne vaut que par sa scène centrale, ahurissante, où c’est toute une communauté de l’entre-soi, ici de l’art contemporain, qui se fait humilier. Avant et après, c’est à peu près le néant, même si je concède que j’ai souri parfois, même si le beau fantôme de Haneke m’est apparu quelques secondes dans le dernier quart du film (avec la chute de l’enfant).
 
ID : Pour bien apprécier un film de Ruben Östlund, il faut comprendre que son cinéma porte principalement sur la causalité entre les actes et leurs conséquences, comme dans son précédent film, Snow Therapy, où un acte sans gravité apparente allait remettre en question l’amour d’une femme pour son mari. Que ce soit la distribution de la lettre dans l’immeuble ou la partie de jambes en l’air avec la journaliste, c’est la même question qui est posée : « Peut-on agir en se désintéressant des conséquences ? ». La réponse est clairement formulée dans le film et la journaliste ou le petit garçon sont là pour nous rappeler que certains actes peuvent entraîner des conséquences plus ou moins lourdes provoquant même le besoin de se justifier, de s’excuser, ou plus grave encore (la perte de son emploi). Cette préoccupation est inhérente à son cinéma et ça m’intéresse beaucoup ! Cette dimension t’a échappée on dirait ?
 
FC : Ah ah ! Pas du tout, je l’ai même trouvée très lourdement explicative ! L’affrontement entre la journaliste (clairement décrite comme hystérique et perverse, et qui n’a donc, à mon sens, aucune légitimité dans sa soi-disant remise en cause du comportement de Don Juan de Christian) est une scène très vaine, et surtout, comme parfois dans The Square, dénuée de drôlerie quand on imagine qu’Östlund la rêve cocasse. Idem pour la séquence avec le gamin qui se rend chez Christian, où l’on a, déjà, lieu à un bis repetita puisque la scène a déjà eu lieu dans le magasin 7-eleven, et où Östlund lorgne là beaucoup plus ostensiblement du côté d’Haneke ; la perversité, et j’oserais dire la finesse, en moins (bien que je n’ai pas encore vu Happy End). Tout le problème de The Square réside dans la lourdeur de sa charge, qu’il s’agisse de l’art contemporain ou du fossé qui sépare riches et pauvres. En témoigne la scène la plus gênante du film, où Christian filme son mea culpa avec une condescendance ahurissante alors qu’il est souhaite s’excuser au nom de l’humanité. La volonté d’Östlund de mettre sans arrêt le spectateur en position inconfortable échoue quasiment systématiquement : le fond étant sans doute touché par cette clocharde malaimable. De ce point de vue, Les Inconnus faisaient bien pire (et beaucoup plus drôle) il y a vingt ans dans Les Trois Frères ! J’ai finalement l’impression qu’Östlund a voulu réveiller une partie de la population, sans avoir conscience qu’il insulte ceux qui le sont déjà, réveillés, et ce depuis un bout de temps !
 
ID : Moi je l’ai trouvée drôle cette scène. Contrairement à un Haneke dont la seule ambition est de créer un malaise à grands renforts de scènes volontairement weird, The Square peut nous mettre mal à l’aise (la performance par exemple) mais ne tombe ni dans la gratuité, ni dans l’exercice de style et sert toujours son propos. Si le réalisateur insiste aussi lourdement sur la fracture sociale en opposant les bourgeois et les clochards c’est pour mieux contraster le décalage qui existe entre l’utopie que représente l’œuvre The Square (un carré) « Dedans, nous sommes tous égaux en droits et en devoirs » et la réalité du monde. Dans cette réalité, le monde est rond et les marginaux en sont clairement exclus. Le personnage principal incarné par Claes bang est intéressant car il est moins représentatif du milieu dans lequel il évolue, il est assez ouvert et n’adopte aucune posture, c’est un humaniste qui voit d’ailleurs dans The Square une allégorie de la social-démocratie idéale. C’est là où The Square est un film intelligent, son propos n’est pas simplement d’appuyer sur le misérabilisme ou les injustices sociales en opposant d’un côté les sales bourgeois aux pauvres mendiants, c’est plus subtil que ça ; et la mendiante dont tu parles vient nous rappeler qu’il y a des cons des deux côtés. Je ne relèverai pas ta comparaison avec Les Inconnus, qui me semble complètement hors sujet, le film ne jouant pas dans le même registre. Je ne crois pas que le propos du réalisateur soit de réveiller une partie de la population, il a simplement une vision qu’il veut transmettre.
 
FC : Mais cette vision sur la minorité silencieuse, sur la fatuité du monde de l’art contemporain, elle est tellement évidente dès lors qu’on ouvre un peu les yeux sur le monde qui nous entoure ! C’est enfoncer des portes ouvertes. J’ai en fait l’impression qu’Östlund est tombé dans son propre piège, qu’il a fait de The Square un nouvel objet d’art contemporain destinés aux amateurs d’art contemporain qui ont un peu de dérision. The Square est en ce sens un peu trop sûr de sa force et au final, après tous ses efforts pour essayer de montrer quelque chose de différent, il accouche d’une souris.
 
ID : C’est vrai, le film est aussi une critique d’un certain art contemporain, celui qui s’expose dans les musées, l’art contemporain bankable, qui, comme la philosophie contemporaine, n’a pour seule ambition que de développer des concepts, comme dirait Deleuze. Son milieu, ses dirigeants, ses communicants, ses mécènes, il dresse un portrait peu flatteur de ce petit milieu bourgeois qui sous ses postures intellectuelles et son vernis artistique se regardent le nombril et s’extasie sur tout et n’importe quoi. Ce sont d’ailleurs les passages les plus drôles du film. Oui, The Square est sûr de sa force mais faire un film intelligent, drôle et inquiétant sur fond de satire sociale n’est pas un pari facile. Si on rajoute à cela la qualité de la mise en scène et ses excellents comédiens, Ruben Östlund réussit selon moi son pari haut la main.
 
FC : Bon, de mon côté je me contenterai donc de revoir le sketch des inconnus intitulé La Set ! Certes moins beau mais tellement plus drôle… Et tout aussi sardonique !

François Corda et Ivann Davis

bub

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The Square de Ruben Östlund (Suède ; Danemark ; France ; 2h22)

Date de sortie : 18 octobre 2017

bub

 

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