Get out
Jordan Peele

Récemment consacré comme le nouveau petit joyau du cinéma d’horreur, Get Out oppose radicalement François et Ivann, qui n’ont pas du tout la même lecture du film. Explications détaillées (avec spoilers de rigueur).

François Corda : En regardant Get Out, j’ai pensé à la pipe de Magritte. Si j’avais été chargé de la promo j’aurais pu mettre en tagline : « ceci n’est pas un film d’horreur ». Et pour cause, ce qui fonctionne dans Get Out ce n’est pas l’argument horrifique (réduit à une portion congrue et sage dans le dernier quart d’heure), mais plutôt l’enjeu sociétal : où en est la communauté afro américaine de sa propre représentation face à la communauté blanche, où en sont les blancs dans leur perception de la communauté afro américaine ? Et là, Get Out à l’intelligence, non seulement de ne pas donner de réponse, mais de savoir provoquer chez le spectateur un malaise réel par un sens aigu de la situation limite (le diable est dans les détails), en alternant avec des passages glaçants à la frontière du comique. J’ai trouvé ça fort.

Ivann Davis : En regardant Get Out, j’ai pensé à une croûte. Je pense au contraire qu’il n’y a aucun argument sociétal. Soyons clair, hormis entretenir certains clichés liés aux dispositions physiques ou à la servitude, le film ne dit rien du racisme. Et puis aborder le racisme dans un film contemporain sous l’angle du « bon nègre » c’est complètement dépassé ! Ca marche dans un Django Unchained car c’est un film d’époque mais le racisme d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier ; si sa véritable intention avait été de dénoncé le racisme, le réalisateur est complètement passé à côté de son sujet. Il n’y a aucune intelligence dans Get Out, c’est juste un film poussif, préférant la caricature aux nouveaux enjeux du racisme moderne. Concernant la représentation de la communauté afro-américaine face à la communauté blanche et leurs positionnements, la série Dear White People est bien plus convaincante et actuelle.

FC : Get Out est un film post Obama, façon gueule de bois, qui parle de l’évolution des moeurs sur la relation inter communautés. L’argument racial des dispositions etc, est clairement dans la caricature et c’est d’ailleurs cet aspect comique que j’ai apprécié. La subtilité de Get Out est ailleurs, dans le message qu’il fait passer sur ce qu’est l’Amérique multiculturelle aujourd’hui : en dépit des mandats Obama, la lutte n’est pas finie et la question raciale doit rester primordiale. Jordan Peele excelle quand il joue sur la frontière entre la paranoïa (le personnage de Rod qui joue le rôle du garde-fou) et la naïveté, incarnée par Chris, typique de l’afro Americain tel que le rêve l’Américain blanc version Obama : cultivé, riche, égal en tous points au Blanc qui a réussi sa vie. Donc, si, le film parle justement de ça, du racisme moderne, un mal caché par les années Obama, mais qui ne demande qu’à resurgir à la moindre occasion. Get Out nous dit : malgré les années Obama, restons vigilants. Le tout sous couvert d’un film de divertissement, je trouve ça très très bien joué.

ID : Question raciale mise à part, le principal problème du film est bien plus simple : c’est juste qu’il est mauvais. Déjà, on assiste à une compilation de scènes ridicules (le sprint du black à 2h du matin, le meurtre avec la tête de cerf empaillé) et de personnages caricaturaux (l’Amérique bourgeoise blanche, le chirurgien fou) qui me laisse sans voix. Ensuite, le réalisateur n’a rien trouvé de mieux, pour jouer la carte de l’étrange, que de demander à ses acteurs de la jouer à outrance. C’est sincèrement risible et très vite lassant. A l’exact opposé d’un David Lynch, qui par un vocabulaire cinématographique bien plus riche, propose une approche de l’étrange bien plus large et bien plus fine que cette brochette d’acteurs mal dirigés. Je prendrai pour exemple l’acteur Caleb Landry Jones (le frère) magnifique dans Antiviral, le film de Brandon Cronenberg, mais ici complètement sous-employé, avec un personnage qui après une première scène (le diner) fait quasiment de la figuration pendant tout le film.

FC : C’est un film de genre ! Oui, ça surjoue, mais cela vient par petites touches, et c’est pour ça que ça marche. Caleb Landry Jones est un acteur brillant, dans Antiviral, c’est vrai,mais aussi dans Mad Love in New York, plus récemment. Il excelle ici, tout comme ses collègues, qui sont, le couple mis à à part, en permanence sur cette brèche entre réalisme et grand guignol. Tu évoques la scène du sprint, elle sort de nulle part et cette absurdité est l’une des forces de Get Out, indéniablement. D’ailleurs le film annonce d’emblée la couleur (c’est le cas de le dire) en proposant en introduction une situation miroir, en forme de parabole rigolote. Pour une fois, on ne met pas un Bruce Willis en danger dans un ghetto noir, mais l’inverse. Get Out est à l’avenant, provocateur dans sa façon de montrer l’Amérique blanche aisée, mal à l’aise avec son passé, très loin d’être aussi progressiste qu’elle l’imagine dans le présent.

ID : Le jeu d’acteur évolue par petites touches ? J’appelle ça des tartines moi ! Il n’y a aucune forme de réalisme, c’est juste plus proche d’un mauvais Shyamalan que d’un bon film d’horreur. Tu remarqueras que, concernant le jeune couple, la nana passe toute la première partie à s’excuser et son mec à lui répéter que tout va bien. On comprend d’ailleurs assez vite que rien ne va et que cette jeune femme apparemment saine d’esprit est aussi tarée que les autres membres de sa famille. Et c’est aussi là le problème, on voit tout arriver à des kilomètres ! Je n’ose même pas évoquer le final où on ne sait pas s’il faut avoir peur ou rigoler, coincé entre un premier degré violent et un registre comique (son pote dans la bagnole). En résumé j’ai eu l’impression de regarder un nanar contemporain, lointain cousin de 2000 Maniacs (1964) et de The Wickerman (1973) mais qui n’a pas le charme suranné de ses derniers. Qui sait ? Peut-être que ce nanar sera considéré comme un classique dans 50 ans !

FC : Ah ah ! Mais il l’est déjà, les critiques sont majoritairement excellentes ! Entre le rire et la peur (je parlerais plutôt de malaise) je n’ai pas choisi, il y a les deux et, une fois de plus, c’est assumé, désiré par Jordan Peele. Les acteurs jouent en retenue jusqu’à l’arrivée délirante du frère, dont on se demande s’il n’est pas sous substances. Là encore, excellente scène, dans laquelle un fils parle ouvertement à ses parents bien propres sur eux de ses beuveries et coucheries comme si cela était le plus naturel du monde, ou presque. Le film bascule là et s’enfonce progressivement dans le grand guignol, au départ par petites touches, oui, je confirme, pour ensuite partir en délire complet. En ce sens, la mort du paternel est assez réjouissante parce que surprenante. Mais je pourrais aussi évoquer la mise en scène : Jordan Peele se révèle très convaincant dès lors qu’il ose expérimenter, comme lors des scènes d’hypnose, admirables, qui sont des pauses esthétiques à la fois sombres et dérangeantes. Du jamais vu en ce qui me concerne, et encore moins dans le cadre d’un film de genre.

ID : Justement je ne comprends pas l’engouement quasi-unanime de la presse à son sujet « le film d’horreur le plus politique de 2017 », « le film d’horreur qui dénonce le racisme », « un film d’horreur anti-raciste à voir absolument »… La presse a une faculté à encenser ou à détruire avec une facilité qui me déconcerte souvent. Concernant la mise en scène, et précisément les scènes d’hypnose, Jordan Peele s’est fortement inspiré des scènes de meurtres dans Under the Skin, donc du déjà vu dans un film de genre me concernant.

FC : Tu sais ce que je pense de la critique en général, je suis loin de partager constamment les consensus, et il est bien trop simple de réduire Get Out à un film anti-raciste ou un film politique. Tu connais des films pro-raciste toi ? C’est ridicule. Au même titre que de taxer Get Out de film politique. Dans ce cas on aurait pu dire, pour donner un exemple récent, que Deepwater était un film politique, alors que c’était juste des propos binaires et évidents. Et Get Out n’est pas un film d’horreur, j’insiste ! Ou alors trois scènes de meurtre frontales suffisent désormais à coller cette étiquette… Concernant le rapprochement entre Under the Skin et Get Out c’est bien vu, ça m’avait échappé, sans doute parce qu’Under the Skin m’avait ennuyé. Peel s’en est sans doute inspiré, je le reconnais, mais le contexte n’est pas le même, et la plasticité de l’image, différente. Aquatique dans Under the Skin, aérien dans Get Out. On ne s’enfonce pas, on ne disparaît pas, on flotte éternellement dans une sorte de purgatoire cosmique. Et alors qu’Under the Skin s’enfermait dans un défi esthétique, Peele ne se sert de la technique que pour servir un propos scénaristique, et au passage, égratigner une forme de nouvelle thérapie new-age. Je crois qu’on a tout dit, au lecteurs de se décider !bub

Ivann Davis et François Corda

bub

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Get Out de Jordan Peele (Etats-Unis, 1h43)

Date de sortie : 3 mai 2017

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