Moonlight
Barry Jenkins

DuelNouveau lauréat des Oscars sous le label « meilleur film », Moonlight ne manque pas de diviser Ivann et François. Alors, Moonlight, délicat ou trop timide ?

Ivann Davis : L’homosexualité dans le cinéma américain ne date pas d’hier. Même si il ne s’agissait pas ouvertement d’homosexualité, Wings (1927) réalisé par William A. Wellman était le premier film à montrer des hommes qui s’embrassent. Il faudra néanmoins attendre les années 70 et la libération des mœurs pour voir des films explicitement homosexuels comme The Boys in the Band (1970) ou quelques années plus tard Cruising (1980) deux films de William Friedkin. Plus récemment on se souviendra du Secret de Brokeback Mountain (2005) premier film ouvertement gay et acclamé par le public et encensé par la critique et Harvey Milk (2009) de Gus Van Sant. On notera néanmoins que tous les films évoqués ici parlent de l’Amérique blanche. Combien de films ont-ils déjà traité de l’homosexualité dans le ghetto noir américain ? Si la réponse est aucun, on peut déjà se féliciter de voir au cinéma un sujet qui n’a encore jamais été abordé, d’autant plus quand il s’agit d’un sujet de société non ?

François Corda : Eh bien pas vraiment, non. Ou plutôt, si tu préfères, je pense qu’un bon sujet n’a jamais fait un bon film, et c’est exactement le cas de Moonlight. Belles intentions sociétales, belles ambitions (le format narratif en trois parties, avec ellipses), mais une coquille vide en guise de personnage central. La machine Moonlight pédale dans la semoule. Le petit « Little » avance en âge, mais tout autour de lui et tout en lui semble figé. Si bien qu’on a la sensation que le film aussi n’avance pas d’un millimètre.

ID : J’ai adoré Moonlight, c’est un film intelligent, notamment dans la façon dont il montre le ghetto noir américain. Comment filmer ses quartiers sans jamais tomber dans les clichés, sans montrer la drogue, les dealers et les toxicos, sans montrer la violence. L’une des forces du film c’est justement de le montrer mais sans le caricaturer. Le réalisateur fuit le sensationnel, rejette le larmoyant et ne tombe dans aucune forme de facilité, un véritable jeu d’équilibriste. Un film américain dont l’approche est assez éloigné des standards du genre. Moonlight un film américain mais pas trop ?

FC : Je ne sais pas ce qu’est Moonlight sinon, à mon avis, un ratage. A trop jouer l’équilibriste, comme tu dis, Barry Jenkins ne choisit jamais.  Ce n’est pas un portrait, Chiron est beaucoup trop passif pour attirer la couverture du scénario à lui. Ce n’est pas une histoire d’amour non plus, l’émotion n’effleure jamais, malgré la musique lacrymale et les ralentis trop signifiants. Ce n’est pas un film de ghetto, on en voit trop peu, comme tu dis, sur la drogue et ses effets néfastes. Et c’est là qu’on se rend compte que Moonlight aurait pu être tout cela à la fois : portrait de dealer (le personnage le plus abouti, et de loin, c’est Juan), chronique scolaire violente d’un enfant renfermé (mais de ce point de vue c’est très balisé, on est très loin de Scum), et enfin une histoire homosexuelle touchante. Sur ce dernier point, on peut dire que l’histoire en question est balancée aux spectateurs comme un chien dans un jeu de quilles. On n’y croit pas une seconde, l’histoire en question étant de toute façon volontairement mort-née (la faute aux fameuses ellipses, ici procédé scénaristique bien facile pour éviter les risques), comme si Jenkins n’avait pas su quoi en faire.

ID : Je ne trouve pas que la musique soit spécialement lacrymale, c’est une alternance entre un thème contemporain à la Arvo Pärt et des titres plus hip-hop. La bande originale fonctionne très bien. En effet ce n’est pas une histoire d’amour, ni de sexe d’ailleurs, l’homosexualité détermine d’abord son rapport aux autres et en premier lieu son rapport à l’amitié. Contrairement à toi, j’ai ressenti une véritable émotion car l’homosexualité dans le film renvoi à l’intime et nous montre le mal être, le poids que représente la sexualité d’un homme dans un milieu qui la rejette et la condamne. On est très loin des revendications égalitaires ou du coming out. Dans Moonlight l’homosexualité est perçue avant toute chose comme un mal, un frein à un épanouissement, une souffrance qui vous ronge de l’intérieur. D’ailleurs les acteurs traduisent bien ce mal être notamment grâce à une économie de mots et un comportement quasi mutique. De mon point de vue c’est remarquablement joué. Jenkins approche son sujet de façon très intelligente, à l’image de la seule scène de sexualité du film, filmée pudiquement, où l’on se détourne de l’acte en lui-même pour mieux insister sur les émotions qu’il suscite. Il s’agit d’évoquer plutôt que de montrer, ce qui traduit assez bien la finesse de son approche.

FC : Entre finesse et neutralité la frontière est mince et dans ce cas précis, je dois dire que, pour moi, ça ne fait pas l’ombre d’un doute : le mutisme, c’est une pose, la musique, comme les ralentis, des effets pour déclencher chez le spectateur une empathie que l’image seule a du mal à véhiculer. On peut très bien imaginer que cet enfant, adolescent, puis adulte, soit surtout mal parce qu’il n’a pas eu de père, et une mère camée. Le facteur « homosexualité », tu l’enlèves, il reste le même film, presque scène pour scène (en fait, seule la rencontre sur la plage, certes pas la pire, resterait). Ca me pose un vrai problème parce que ça signifie, finalement, que le réalisateur ne parle pas du sujet que l’on devine pourtant être le moteur fondamental de Moonlight. Pour moi, c’est bien simple, Barry Jenkins apporte beaucoup d’attention au style, aux apparences, mais le propos me semble extrêmement creux.

ID : C’est justement cela que j’ai aimé, c’est un film sur l’homosexualité qui ne parle pas véritablement de l’homosexualité en tant que telle, mais plutôt des conséquences qu’elle entraine. Concernant le style et les apparences, la mise en scène est très élégante en alternant faibles profondeurs de chant pour mieux se concentrer sur le personnage et des plans plus larges pour insister sur son environnement. La photographie est superbe, les couleurs viennent détourer les corps, la lumière caresse les peaux, esthétiquement parlant c’est un sans faute. Encore une fois j’aime la dimension intimiste de son cinéma, dans cette manière de filmer très en retenue, qui garde toujours une distance avec son sujet, privilégiant des teintes assez chaudes qui contrastent d’ailleurs avec un univers loin d’être chaleureux.

FC : De mon côté, je pourrais résumer Moonlight à un plan, le premier. La caméra tourne autour de ses personnages (deux dealers) jusqu’à l’étourdissement, comme si Jenkins voulait absolument donner du sens à une scène somme toute très banale. Je vois dans ce cinéma là beaucoup d’afféterie, et peu de sens. Mais pour être tout à fait franc (et un peu cynique), si j’avais su que Moonlight remporterait l’oscar du meilleur film je n’aurais pas pris la peine de me déplacer, tant je suis absolument toujours en désaccord avec les choix de leurs jurys depuis l’excellent Démineurs !bub

Ivann Davis et François Corda

bub

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Moonlight de Barry Jenkins (Etats-Unis, 1h50)

Date de sortie : 1er février 2017

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