UNDER THE SKIN
Jonathan Glazer

RevueUnder the skin est l’un des chocs critiques de cette année. Pourtant, entre le film « labyrinthique » pour certains (Grand-ecart.fr) mais « linéaire » pour d’autres (Les Cahiers du cinéma), ou « l’histoire d’un œil » décrite par Chronicart, on est un peu perdu… Under the skin ne serait-il pas le prototype du film propice à la surinterprétation ?

Jérôme Momcilovic (Chronicart) entame sa chronique en ces termes : « C’est une histoire d’extraterrestre, si l’on veut, mais c’est avant tout la vie d’un œil. ». Avec beaucoup d’imagination, pendant les trois premiers quarts du film, on peut effectivement penser que Scarlett Johansson est une extraterrestre. Ou alors une serial killer (Louis Guichard de Télérama estime qu’Under the skin est même un « thriller »). Ou bien encore une femme qui se venge, en rêve, de mâles écossais mal dégrossis (Velvetman de Sens Critique voit dans Under the skin « une nature féministe »). Oui mais alors il s’agit d’un thriller sans énigme (on ne se demande jamais pourquoi les choses se passent, le spectateur reste éternellement passif devant les images), d’un film féministe sans réelle figure de femme (Scarlett Johansson est dépourvue d’émotions, c’est là sa principale caractéristique). Finalement, comme le dit, Jérôme Momcilovic, Under the Skin interroge, à travers le regard de Scarlett Johansson, celui du spectateur. Elle observe la faune humaine, nous observons l’extraterrestre. Le problème c’est que la neutralité de l’œil extraterrestre entraîne une neutralité du récit qui a de quoi nous laisser sur la touche.

Under the skin est donc, avant tout, et ce malgré la présence de sa star hollywoodienne consensuelle, un film très austère ; qui dure cent sept longues minutes. Ne serait-ce pas de l’image pour de l’image ? Préventivement, Les Cahiers du cinéma et Chronicart contrent les détracteurs du film : le passif de publicitaire et clipeur de Glazer fait peur, soit, mais selon Mathieu Macheret, « Under the skin [ne serait pas] un long clip arty » (il parle de « pure expérience sensorielle »). Et d’après Jérôme Momcilovic, « Under the skin vaut plus que la somme de [ses] images [sidérantes] » (« jamais la nécessité interne d’une image n’y prévaut sur le déroulement du récit »). C’est très contestable : les scènes s’enchaînent comme des perles (Mathieu Macheret évoque « une répétition de processus », répétition qui tourne vite au procédé). Scarlett séduit, Scarlett tue, selon le même rituel, que nous voyons se développer au gré de ses différents forfaits. Autrement dit chaque enlèvement nous offre quelques instants plastiques (superbes) de plus, nous en dit un peu plus sur l’avenir physique des victimes de Johansson. Mais au final on pourrait reprendre les mots de Jérôme Momcilovic à l’envers : la narration dans Under the skin semble surtout destinée à justifier des coups d’éclat visuels, des perles soit superbes, mais que l’on pourrait aisément considérer comme une suite… de clips. « Le pur mécanisme de prédation » de cette métaphorique mangeuse d’hommes, évoqué par Mathieu Macheret, devient alors tristement prévisible, comme un mécanisme trop bien huilé.

Un événement vient cependant rompre cette routine « radicalement formaliste » (Mathieu Macheret, encore). C’est l’apparition d’un homme éléphant qui brise la « linéarité presque aveugle […] » (Mathieu Macheret, toujours) d’Under the skin, une linéarité qui rappelle un autre Elephant, dit-il, celui d’Alan Clarke. Un Elephant déjà purement formaliste, intriguant à défaut d’être dérangeant, et auquel on pouvait préférer les saillies sociales du même réalisateur (Scum et Made in Britain en tête). Dans cette rencontre impromptue entre la belle glaciale et la bête au cœur d’artichaut, Dexter Bauer de Sens Critique perçoit « une sorte d’épanchement de Scarlett Johansson qui s’humanise ». Epanchement pour le moins discret si l’on en juge par la performance, très figée, de l’actrice américaine. En revanche, la monstruosité du pauvre hère (un peu trop visiblement numérique, comme l’introduction du film) appelle de fait une compassion de la part du spectateur. Mais il y a derrière cela une forme de sensationnalisme (le réalisateur s’attarde très largement sur le faciès) que l’on peut légitimement trouver déplacée. D’autant plus déplacée lorsque l’on pense à un autre Elephant, celui de Lynch, autrement plus pudique. Un Lynch dont on perçoit le fantôme par endroits. Yvan Pierre-Kaiser de Grand-Ecart.fr estime même que, « comme les plus beaux films de Lynch, Under the skin est un labyrinthe ». Malheureusement ici on pense plus au Lynch autiste d’Inland Empire (plus que déroutant, Inland Empire était surtout laborieusement tourné vers sa propre folie), qu’à celui, fascinant, de Mulholland Drive ou Lost Highway.

Difficile, donc, de ne pas se sentir floué, contrairement à ce que nous affirme Jérôme Momcilovic (« on ne peut pas reprocher à la production de mentir ») par des arguments promotionnels pour le moins aguicheurs (Scarlett Johansson nue + histoire d’extraterrestre). Louis Guichard affirme que « l’actrice stupéfie encore dans ce don de sa nudité sans fard ni apprêt à la science (-fiction). ». Scarlett Johansson n’a sans doute jamais été aussi nue physiquement à l’écran, oui, mais se serait-on tant émus s’il s’était agi d’une illustre inconnue ? Ensuite, avouons-le, d’extraterrestre il n’y a pas vraiment. Seules les dernières minutes déterminent ce fait… Drôle de twist que tout le monde connaît par avance (à moins d’avoir échappé par miracle aux affiches, bandes annonces et consors) ! Comme si Jonathan Glazer avait sacrifié Under the skin sur l’autel de la beauté, simplement parce qu’il avait terriblement foi dans son idée de départ, très alléchante, soit, mais finalement inaboutie.bub

François Corda

 

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Under the skin de Jonathan Glazer (Angleterre ; 1h47)

Date de sortie : 25 juin 2014

bub

 

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