LE LOUP DE WALL STREET
Martin Scorcese

bubDuelLe succès du Loup de Wall Street remis en question : Jean-Baptiste et François s’entretiennent sur le dernier film de Scorsese, où il est question d’ autocitation, d’artisanat, et de jeu d’acteur.

François Corda : Pour introduire ce petit duel, je dirais que je n’attendais strictement rien du Loup de Wall Street. J’ai beau aimer globalement l’œuvre de Scorsese, la simple idée de passer trois heures en compagnie d’un trader avait de quoi me dégoûter par avance… Pourtant j’ai été surpris : Le Loup de Wall Street est avant tout une excellente comédie ! La dérision était sans doute le meilleur moyen d’aborder un tel sujet.

Jean-Baptiste Durand : C’est une façon de voir les choses. De mon point de vue c’est surtout la preuve que Scorsese, comme beaucoup de réalisateurs-stars de sa génération, n’a plus grand-chose à dire. Je n’ai pas détesté le film, je l’ai trouvé globalement moyen et je ne regrette pas d’y avoir consacré presque trois heures, mais j’y ai juste vu un remake des Affranchis et de Casino, avec une transposition du Milieu vers la Finance. Comme l’ombre de la mort et de la violence ne plane plus dans ce contexte, le coté grotesque et beauf des personnages n’est plus bridé et permet de donner un ton de comédie. Mais il n’empêche que c’est exactement le même film. Scorsese, incapable de se réinventer, joue sur du velours et re-tourne ses grands succès. Le résultat est agréable à regarder mais ça ne rend pas le film intéressant pour autant.

FC : Certains vont ruer dans mes brancards mais Les Affranchis et Casino font partie des rares films de Scorsese qui m’ont ennuyé. Pour dire vrai je ne les ai même pas finis ! Pour autant, et c’est un paradoxe intéressant je crois, je suis complètement d’accord avec toi, Le Loup de Wall Street pourrait se lire comme un remake de ces deux œuvres là. On y trouve une même fascination pour ces petites frappes qui se rêvent grands. A ceci près que c’est précisément l’aspect affirmé du comique, simplement (et malheureusement) en sourdine dans les deux films que tu cites, qui rend Le Loup de Wall Street jouissif. Il faut d’ailleurs rendre grâce aux compositions de Di Caprio (qui n’a jamais été aussi bon selon moi) et Jonah Hill (quelle idée géniale, le blanchiment de ses dents !).

JBD : La encore objection votre honneur ! Il suffit d’une seule scène à Matthew McConaughey pour rappeler à quel point DiCaprio est un acteur transparent et sans une once de réel charisme. On renverra aussi à Gangs of New-York ou Aviator du même réalisateur, pour une illustration par l’exemple du fait que DiCaprio peine à exister des qu’il est face à des acteurs d’envergure (Daniel Day-Lewis, Brendan Gleeson ou Cate Blanchett, respectivement).

FC : Matthew McConaughey est en pleine bourre, son numéro de cinq minutes est exceptionnel. Mais ça dure cinq minutes. DiCaprio tient le film pendant trois heures en faisant évoluer son personnage de manière significative (de l’agneau au loup, de l’hyène au renard). Pour être franc, avant ce rôle j’étais surtout admiratif des choix de carrière de DiCaprio, plus que de son réel potentiel d’acteur. Ce qui revient à dire que je te rejoins sur ses performances dans Gangs Of New-York ou Aviator. Mais depuis quelques années (je dirais que le tournant date des Infiltrés), il a pris une épaisseur considérable (pour rappel sa prestation aussi courte qu’impressionnante, comme le numéro de McConaughey, dans Django Unchained). Ce film en est à mon sens la grande confirmation. Que reproches-tu à Jonah Hill ?

JBD : Je t’accorde que Di Caprio est excellent dans Django Unchained, c’est un de ses rares grands rôles (et je pense que c’est en partie du au fait que Tarantino est un excellent directeur d’acteur). Pour ce qui est de Jonah Hill, c’est un non-comédien, bien digne de la « tribu Apatow ». Il n’apporte rien à son rôle si ce n’est, effectivement, qu’il augmente encore l’envie du spectateur de mettre des claques à son personnage. En ce sens, je te l’accorde, c’est un excellent choix de casting. Mais l’intégralité de sa « composition » se résume en fait à des trouvailles visuelles (lunettes, dents, etc.) dont je doute qu’il en soit à l’origine. Et sur ce dernier point, je peine à voir le blanchiment des dents comme une « idée géniale » dans le sens ou c’est du pur déjà-vu (il y a plusieurs années, un épisode entier de Friends était déjà consacré précisément à l’exploitation de ce ressort comique). Bref, encore une fois, je ne veux pas charger la mule : le film est efficace. Mais c’est du lourdement balisé sans une once d’invention.

FC : C’est un biopic. Genre auquel je suis d’ailleurs assez hostile d’habitude. Ce que je veux dire c’est qu’il ne faut pas de fait s’attendre à trouver un scénario extravagant ou réservant des surprises. Et pourtant de ce point de vue le film est assez habile tout de même : dans la série rise and fall (fall qui n’en est pas vraiment une qui plus est, puisque Belfort retombe sur ses pieds et c’est assez troublant), Le Loup de Wall Street réserve des moments épiques dans le n’importe quoi (la séquence du pot-de-vin, de l’overdose, de l’accident en mer…).

JBD : Encore une fois, ce n’est pas comme si le réalisateur n’avait pas déjà tourné un certain nombre de rise and fall construits exactement sur la même dynamique (sexe, drogue et bande originale rock’n roll). La seule vrai originalité est effectivement la conclusion puisque, du fait de l’aspect non-violent du criminel Jordan Belfort, ce dernier échappe au fatum cinématographique traditionnel des héros mafieux et arrive a retomber sur ses pattes. Ceci posé les autres figures de style Scorsesiennes s’enchaînent avec la régularité d’un métronome.

FC : Le Loup de Wall Street use d’une mécanique parfaitement huilée, que Scorsese connaît à merveille, tu as raison ! Après je trouve ça dommage de condamner le film (même si j’ai bien compris que tu ne le trouvais pas mauvais) pour des raisons éthiques discutables : en gros, tu reproches à Scorsese de faire du Scorsese. Au moins narrativement parlant. Ca se défend, la prise de risques de ce point de vue est minimale c’est vrai. Mais si j’ai pris autant de plaisir à voir Le Loup de Wall Street (au-delà de son interprétation) c’est parce que j’y retrouve la patte d’un auteur : la mise en scène de Scorsese reste très inventive (les scènes d’orgie, nombreuses, sont phénoménales et bien plus marquantes que, au hasard, celles de Springbreakers). Cette patte, j’ai bien du mal à la retrouver chez les « nouveaux auteurs » de superproductions américaines, Fincher, Aronofsky et Nolan en tête. Je respecte le travail de ces réalisateurs mais de mon point de vue il est beaucoup moins personnel et identifiable. J’y vois surtout de bons artisans consciencieux, qui manquent clairement de folie.

JBD : Je reproche a Scorsese d’être incapable d’innover et donc, très concrètement, de me resservir la même soupe a l’identique. La soupe peut être bonne, elle n’en finit pas moins par lasser. Le Loup de Wall-Street n’est pas un mauvais film, loin de là. Mais c’est tout de même un film que j’avais déjà vu deux fois avant même de poser les pieds dans la salle de projection. C’est un problème et c’est quelque chose qui m’empêche de me joindre au concert de louanges des critiques. Paradoxe amusant, je pourrais conclure en recyclant tes propres mots : je vois dans ce film le travail d’un bon artisan consciencieux, qui manque clairement de folie.

FC : Alors concluons sur cette ambiguïté ! Papi qui radote ou artiste encore éclairé Martin Scorsese ? A vous de voir !bub

François Corda et Jean-Baptiste Durand

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Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese (Etats-Unis ; 2h59)

Date de sortie : 25 décembre 2013

bub

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