LE HOBBIT : UN VOYAGE INATTENDU
Peter Jackson

—–EnterreÀ partir du moment ou la nouvelle est tombée, on pouvait craindre le pire : faire des aventures de Bilbo le Hobbit une nouvelle trilogie était, plus ou moins, la chronique d’un naufrage annoncé. P. Jackson affirmait donc, sans sourciller, proposer une œuvre cinématographique d’une durée comparable à celle du Seigneur des Anneaux en partant d’un livre au volume nettement plus modeste que celui du magnum opus de JRR Tolkien. De quelle manière le réalisateur Néo-Zélandais allait-il réaliser ce tour de force ? La sortie sur nos écrans de la première partie du Hobbit nous permet d’ores et déjà de répondre à cette question : en délayant la sauce, ad vitam aeternam, le film étant à l’œuvre originale ce que l’Oasis est à un jus de fruit fraîchement pressé. C’est fade, clairet et on peine à finir la bouteille.

Force est de constater que les trois premiers quarts d’heure du film font illusion : la Comté est belle, comme toujours chez Jackson, la chute du royaume nain est épique à souhait (excellente idée de mise en scène : ne jamais montrer le Dragon) et l’arrivée des compagnons chez Bilbo fonctionne parfaitement. On se surprend même à frissonner d’émotion en écoutant le chant de Thorin et ses suivants face à la cheminée. Mais les meilleures choses ont un fin et il reste deux heures de calvaire à s’enquiller : à l’instant même ou Bilbo s’élance de chez lui pour participer à sa première aventure, les ennuis commencent. Pour le spectateur notamment…

Car au fur et à mesure des pérégrinations de notre héros nous découvrons une histoire principale parasitée par la nécessité de caser une poursuite ou un coup de hache toutes les dix minutes, quitte pour cela à inventer de nouveaux méchants (le seigneur de guerre orque qui, même s’il est visuellement impressionnant, ne sert strictement à rien), à refaire à l’identique des scènes entières du Seigneur des Anneaux (la traversée de la Moria, les aigles et le papillon) voire à dénaturer complètement un personnage mineur de l’univers Tolkienien : Radagast le Brun.

Ce dernier personnage est par ailleurs une illustration parfaite de la méthode globale appliquée par P. Jackson sur l’ensemble du récit : récupération de matière dans le texte du Seigneur des Anneaux (Radagast est un magicien dont il est n’est fait mention qu’une fois dans The Hobbit, au détour d’une conversation), transformation (le personnage est désormais un ressort « comique » du film, une sorte de Jar Jar Binks avec du guano dans les cheveux) et extrapolation (des quelques lignes consacrées au Mage Brun, le réalisateur tire plus de 20 minutes de pellicule, toutes plus douloureuses les unes que les autres).

Ceci posé, Le Hobbit est en réalité dans la continuité des travaux précédents de Peter Jackson sur l’univers de Tolkien. Mais tous les travers qui affleuraient dans Le Seigneur des Anneaux sont désormais les axes majeurs du récit : adieu poésie et subtilité, nous sommes face à du MacTolkien, taillé pour l’action, au mépris de toute cohérence dans la narration. Sachant que la qualité d’une adaptation cinématographique se juge tout autant sur ce qui est coupé par rapport à l’œuvre originale que sur ce qui est ajouté, le bilan est lourd. Les choix d’ajouts de Jackson, ces greffes scénaristiques censées « créer une continuité » entre les deux trilogies sont grossières et indigestes (le conseil d’Elrond, la rencontre du Nécromancien…).

Dans ces conditions on ne peut envisager le choix d’une trilogie que sous l’angle le plus triste : celui d’une opération purement commerciale, totalement dénuée d’ambitions artistiques. Restent deux excellents acteurs dans les rôles de Bilbo et Thorin ainsi que quelques moments de grâce (le chant devant la cheminée déjà mentionné, le duel d’énigmes) noyés dans une grosse machinerie sans âme façon Disneyland. Bref, et pour citer le célèbre critique cinématographique anglais W. Shakespeare, Le Hobbit « est un récit plein de bruit et de fureur, raconté par un idiot et ne signifiant rien ». Et c’est bien dommage.bub

Jean-Baptiste Durand

bub

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Le Hobbit : un voyage inattendu de Peter Jackson (Etats-Unis, Nouvelle-Zélande ; 2h45)

Date de sortie : 12 décembre 2012

bub

 

Showing 4 comments
  • Tnaw

    Je me permets de critiquer ta critique.
    Tout d’abord, Radagast le Brun, malgré le fait qu’il apparait bien plus dans le film que dans le livre, est bel et bien un Istari que l’on peut qualifier de « simplet » (Saroumane le Blanc le fait d’ailleurs bien dans Le Seigneur des Anneaux) Ensuite, pour le conseil Blanc, il est bien dit dans les appendices du Seigneur des Anneaux que Gandalf a justement participé à ce conseil qui a bien eu lieu a Fondcombe avec Elrond, Galadriel et Saroumane. Jackson a d’ailleurs dit qu’il profiterait de The Hobbit pour faire un lien entre ses deux trilogies cinématographique, et les ajouts que tu mentionnes sont généralement cités par Tolkien dans ses livres.
    Pour Azog, l’orque blanc, il est vrai que c’est un ajout. Il a été tué par le père de Thorin à la bataille Azanulbizar. C’est une façon comme une autre d’intégrer le Nécromancien directement dans l’histoire, et de montrer le visage d’au moins un méchant dans le premier volet, que le spectateur sache à quoi s’en tenir. La seule vraie grosse incohérence que j’ai pu déceler et qui m’a véritablement gêné, c’est l’histoire entre la clé de Thror, Gandalf et le Necromancien, ceux qui auront lu le livre sauront de quoi je parle.

  • Peach

    Je ne suis pas du tout d’accord avec cette critique car comme l’a dit Tnaw beaucoup de choses que tu critiques sont dans les Appendices du SDA ou dans les autres oeuvres de Tolkien…on fond ça permet de créer un lien avec le Seigneur des Anneaux et montrer la complexité de l’univers de Tolkien.
    Le seul point qui peut faire tilter c’est l’histoire de la clé (j’ai lu le livre et les annexes)…mais aussi l’histoire d’Azog qui normalement se fait même tuer par un cousin éloigné de Thorin (Dain)…enfin je pense qu’il faudra voir le prochain film pour mieux comprendre la liberté de Peter Jackson sur ce point.

  • J.B. Durand

    Au risque de me répéter, Messieurs : « Ce dernier personnage est par ailleurs une illustration parfaite de la méthode globale appliquée par P. Jackson sur l’ensemble du récit : récupération de matière dans le texte du Seigneur des Anneaux (…), transformation (…) et extrapolation (…). »
    J’ai lu, comme vous, les appendices du SdA et j’ai bien confiance que P. Jackson a d’avantage recyclé qu’il n’a inventé. Il n’empêche que ce recyclage est fait de manière grossière et sans une once de poésie.
    Et pour ce qui est de Radagast, rappelons que nous parlons tout de même d’un Istari (c’est à dire un demi-dieu, un ange sous forme humaine) et que le terme « simplet » lui est accolé par un Saroumane dont l’arrogance sera précisément la perte, la porte d’entrée dans les ténèbres. L’adjectif méritait donc d’être pris avec précaution et ne justifiait pas un traitement du personnage façon docteur Tournesol sous champignons.
    Cordialement.

  • Tholgren

    J’ai envie de dire oui mais non…
    Une partie de ta critique est parfaitement fondée, c’est vrai. Oui, Radagast est totalement dénaturé et les commentaires de Saroumane n’auraient pas dû être interprétés de cette manière. Oui, c’est carrément bourrin, les morceaux de bravoures s’empilent un peu bêtement sans rime ni raison. Pour autant, il s’agit d’une adaptation, donc nécessairement d’une trahison. J’ai vu la trilogie précédente et je savais parfaitement à quoi m’en tenir, Jackson bien qu’efficace ne fait pas dans la dentelle ni dans la subtilité, certains passages sont grossiers et assez peu respectueux de la matière noble de Tolkien (le lancer de nain, le surf elfique), j’entends bien. Mais il y a tout de même de la bonne grosse matière spectaculaire (le passage des trolls, la poursuite dans Gobelin-Ville, la bataille aux portes de la Moria, le combat final). Tu es donc de mon point de vue un poil trop sévère. Un commentaire équilibré aurait dû – je pense – te conduire à donner une note de 10 à 12 sur 20. Maintenant tu en veux à Peter Jackson ? Tu veux lui péter les rotules pour avoir ridiculisé Radagast ? Prends ton billet pour la Nouvelle-Zélande, on y va tous les deux ! 😉

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