LES MOISSONS DU CIEL
Terrence Malick

DeterreJe viens de revoir Les Moissons du ciel. Il y a trente ans environ, ce film était projeté en salles pour la première fois. Peut-être avait-il été très bien reçu alors, je n’en sais rien. Sans pouvoir argumenter, j’ai l’impression qu’il n’a bien ni mal vieilli. Il est daté bien sûr, on reconnaît l’époque de l’image. Mais si quelque chose peut gêner, ce n’est pas ça. En quelque sorte, Les Moissons du ciel nous est toujours contemporain. Et ce n’est pas rien. Le cinéma de Malick est important, singulier. La poésie de son œuvre, son style d’évocation, cette manière si particulière de mettre à distance le monde qu’il réalise — tout cela est suffisamment rare et précieux pour qu’on lui rende hommage avant de se permettre de trouver à redire.

Mais je ne vais pas mentir en faisant croire que Les Moissons du ciel m’ont ébloui, transporté. J’étais même agacé durant les deux premiers tiers de l’histoire. Et le dernier tiers n’a pas suffi à retourner mon sentiment. Peut-être me suis-je trompé d’attentes. Le souvenir que je gardais du film (et de la filmographie complète de Malick tout aussi bien) a pu me conduire à lui porter une attention inadéquate. Cela entre en ligne de compte, mais ça n’explique pas tout. Il faut savoir que mon regard est biaisé : je m’intéresse aux traces qu’un réalisateur laisse dans ses films. Les marques de sa présence. Je n’y peux pas grand chose, mon goût se fonde principalement sur ce critère aujourd’hui. Quelle est la qualité d’engagement, quelle est la qualité de regard de celui qui fabrique du temps et de l’espace ? Et dans ce film je suis gêné par la présence de Malick. Qu’il soit présent n’est pas problématique. C’est la manière qui l’est.

Le style de Malick est risqué. Il touche facilement à ses limites. En termes de mise en scène, il requiert une grande maîtrise. Doivent être maîtrisés le cadre et la photo, la profondeur de champ, le rythme dans l’image, les signes qui chiffrent l’image onirique. Puis, si l’on se place du côté du spectateur, du côté de la perception du film, son style à mon avis ne peut être efficace qu’en s’effaçant dans une sorte de grand fondu temporel. Il produit son effet s’il se met effectivement au service d’associations d’images, d’idées, de sentiments, et ce au détriment de l’espace où généralement tout se développe mais qui chez Malick s’aplatit plutôt.

Or, dans la majeure partie des Moissons du ciel, je trouve que la maîtrise de la mise en scène est trop visible pour que l’onirisme fonctionne en continu. Il y a dans ce grand fondu quelques hoquets, des coupures de temps malvenues. Le style y montre son mauvais visage. Mon hypothèse est que ce hoquet résulte du montage des scènes de vie. En effet elles ne sont pas assez nerveuses. Chacun des plans servant les tableaux de quotidien semble trop long, laisse le temps au spectateur d’achever sa lecture et d’y constater que tout est bien en place, même le désordre. C’est le contre-effet. C’est dommage. Mais n’oublions pas que c’est le jeu. Le pari.

Pour autant c’est Malick. Un des auteurs qui comptent vraiment. C’est le film d’avant la maturité de La Ligne Rouge. Et c’est beau, c’est fort.bub

Jacques Danvin

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Les Moissons du ciel de Terrence Malick (Etats-Unis ; 1h34)

Date de sortie : 16 mai 1979

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