TESIS
Alejandro Amenábar

DeterreLe film Tesis a été réalisé par un jeune homme de 24 ans. Il se dégage pourtant de ce premier long métrage une maturité impressionnante. Il faut voir la façon dont Alejandro Amenábar s’amuse à emboîter les mises en abyme, telles des poupées russes cinématographiques, dans une carapace de thriller classique : c’est vertigineux.

Étudiante en cinéma, Angela s’est mise en tête de rédiger sa thèse sur la violence audiovisuelle. Mais la rédaction de son devoir va rapidement se voir contrainte par la découverte dans la vidéothèque de la fac d’une cassette VHS particulièrement dérangeante… Cette jeune femme terminant ses études, c’est évidemment le double féminin d’Amenábar lui-même. C’est la première poupée russe, on sent que l’espagnol est le calque de son héroïne : la violence et la mort le fascinent, mais le révulsent aussi. À ce titre, jamais le réalisateur ne se montre complaisant, il est toujours dans la suggestion. Mais parce qu’il sait manier à la perfection les contre-champs, il rend certaines de ses scènes aussi terrifiantes que si elles venaient du cinéma d’horreur pur et dur (on pense notamment à la première scène de l’accidenté de la voie ferrée ou de la première vision de la cassette vidéo).

On peut aussi admirer le traitement du personnage fan de films d’horreur, le dénommé Chema, censé aider Angela dans sa thèse, mais qui va finalement mener l’enquête avec elle. Chema est le négatif d’Angela, son mauvais génie, et donc aussi, on peut le penser, celui d’Amenábar. C’est un caractère qui assume parfaitement ses pulsions négatives (son passe-temps favori consiste en la vision de snuffmovies, de reportages de guerre avec morts réelles, etc.) et qui peut aussi bien sembler inquiétant, perturbé que parfaitement équilibré. Car si son comportement, pour le spectateur, est imprévisible, on sent que lui, Chema, maîtrise parfaitement ce qu’il fait. Enfin Chema représente à la fois une sorte d’absolu pour les fans de film de genre (les effets spéciaux ne lui suffisent plus, il lui faut du réel), mais aussi un moyen d’interroger le spectateur sur ses propres pulsions de mort, son rapport à la violence audiovisuelle, soit le sujet de la thèse d’Angela. Ouf ! Avec ce personnage on est sans conteste face à la deuxième poupée russe !

Tesis est aussi la mise en scène à peine voilée de la mise à mort du père, soit de l’enseignant pour un Amenábar qui vient de terminer ses études. Les rôles que tiennent les deux professeurs de la faculté ne souffrent pas d’ambivalence. Figuera incarne le professeur bonhomme, presque trop coulant, tandis que Castro est celui qui remet tout en question, titille, provoque. Mais malgré leurs différences, ils seront tous les deux tout aussi maltraités par le scénario ! Et voilà l’ultime pirouette qui pointe son nez : paradoxalement, via Tesis Amenábar semble suivre à la lettre les recommandations d’un Castro peu scrupuleux quand celui-ci affirme avec conviction devant un parterre d’étudiants ébahis qu’il faut donner aux spectateurs « ce qu’ils attendent », que c’est le seul moyen de redonner un coup de sang au cinéma espagnol face à l’hégémonie du cinéma hollywoodien. Autrement dit qu’il ne faut pas hésiter à renier ses convictions pour réussir. Et Amenábar offre effectivement aux spectateurs un film à grand spectacle, avec du suspense, des rebondissements, des meurtres. À ceci près qu’il met un point d’honneur à le faire avec une intelligence aiguisée, en proposant une réflexion en miroir sur le style (le thriller horrifique) et sur nos attentes de spectateur.

Un moyen pour lui, d’une part de s’émanciper de son enseignement, d’autre part de lui rendre honneur. Ultime poupée russe qui signe une volonté évidente de rendre justice à tout un pan du cinéma souvent qualifié de mineur. Très très fort.bub

François Corda

 

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Tesis d’Alejandro Amenábar (Espagne ; 2h10)

Date de sortie : 4 décembre 1996

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