DUCH, le maître des forges de l’enfer
Rithy Panh

DeterreFilm après film, Rithy Panh construit patiemment une œuvre de mémoire pour ses compatriotes sur le génocide perpétré par le régime khmer rouge de Pol Pot durant la deuxième moitié des années soixante-dix. Duch, le maître des forges de l’enfer est une nouvelle pierre apportée à son projet. Il fait écho d’une part à un autre documentaire réalisé par Rithy Panh en 2002 et intitulé S21, la machine de mort khmère rouge. Et d’autre part à l’actualité, en l’espèce à 2009-2010 et au procès de Duch, directeur du camp S21 à l’époque des faits et condamné en premier jugement à 35 ans d’enfermement.

Malgré un contexte très précis et un titre (*) qui ne laisse pas de doute quant au point de vue que Rithy Panh souhaite adopter sur l’homme qu’il interviewe dans ce documentaire, son œuvre porte une ambivalence forte. Car il est profondément troublant de voir et d’entendre ce personnage historique, Duch, à la fois si humain et si négateur de l’humain. D’une effrayante intelligence dans sa manière de se dédouaner tout en reconnaissant ses actes, et d’une encore plus terrifiante capacité à retirer une satisfaction d’avoir su se conformer à l’idéologie qu’il servait pour ne pas faire partie de ses victimes. Si bien qu’on ne sait plus s’il ne surjoue pas l’illumination pour mieux se protéger du jugement des hommes, ou si son indépendance d’esprit ne cache pas en fait une immense servitude volontaire, si elle n’est pas la seule manière qu’il a trouvée de supporter en l’assumant le choix ignoble qu’il a fait il y a plus de quarante ans.

Dans les extraits d’entretien que Rithy Panh a choisi de monter pour construire son film surgissent donc tour à tour les différentes facettes d’un même homme qui a produit l’histoire tout en en étant le fruit. Le trouble que le film suscite vient en partie du sentiment qu’on assiste au témoignage d’un homme réduit à ses extrémités : la faiblesse totale d’un vieil homme chétif et la toute puissance d’une intelligence légitimée par un système idéologique. Mais ce trouble provient aussi du fait que le commentaire du documentariste semble hésiter lui-même. En-dehors du titre dont l’imaginaire et la terminologie ne trouvent jamais d’écho direct par la suite, en-dehors des cartons qui présentent le contexte historique mais sans donner d’information sur le dispositif suivi par Rithy Panh pour réaliser l’interview, il y a comme une gêne pour le spectateur à sentir qu’une voix n’est pas entendue. La voix de celui qui pose les questions. Une voix qui manque et dont l’absence interroge sur la volonté de Rithy Panh de rester comme dans l’angle mort de son archive.

(*) Il est à souligner que le titre en français a très certainement été choisi avec l’accord du réalisateur, Rithy Panh étant parfaitement francophone.bub

Jacques Danvin

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Duch, le maître des forges de l’enfer de Rithy Panh (France, Cambodge ; 1h43)

Date de sortie : 18 janvier 2012

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