Le Havre
Aki Kaurismäki

DeterreLe Havre est un film atypique. Il propose au spectateur de suivre les péripéties que vit Marcel Marx après avoir découvert dans le port un jeune clandestin prénommé Idrissa, échappé d’un container et recherché par la police. Avec cette histoire, Aki Kaurismäki se place sur le terrain du film de fiction politique, mais sans adhérer à ses canons habituels. Car en effet, plutôt que de dénoncer de manière frontale et belliqueuse les dysfonctionnements d’un système social et les conséquences qu’il induit, le film montre de manière exemplaire et dans un geste d’espoir positif ce qui résiste à ce système.

Ce qui est frappant dès les premières minutes du film, c’est le jeu, le décalage. Dans les situations qu’enchaîne l’histoire du début à la fin, il existe toujours quelque chose qui indique que ce qu’on voit est un théâtre comme imposé de l’extérieur. L’ouverture du container, par exemple, qui révèle au début du film la famille de réfugiés africains qui tentent de rallier clandestinement Londres par Le Havre : ils sont propres, calmes et en bonne santé malgré les conditions insalubres et dangereuses dans lesquelles ils ont voyagé. L’indice de ce décalage se trouve souvent dans le jeu des acteurs, les métiers, les décors, l’ambiance, etc. Ou dans l’usage aussi d’ellipses qui permettent de faire entrer soudain, de manière théâtrale, un personnage qui sort du hors-champ comme on sort des coulisses pour faire son entrée en scène. L’usage de téléphones à cadran des années 70, Marcel cireur de chaussures à la gare ferroviaire, la tenue du commissaire Monet, Les bruits du port entre les répliques ciselées, la diction de Wilms et Darroussin, la musique de Little Bob : il y a dans Le Havre un mélange permanent de deux époques où le présent semble garder irrémédiablement en creux quelque chose du passé. Une mémoire.

Avec ce décalage sans cesse rappelé, le film semble demander poliment au spectateur de faire un pas de côté. De se déprendre de certaines attentes que peut susciter le cinéma en général. De se défaire en tout premier lieu de ce qu’on appelle souvent le « réalisme » mais qui n’est en fait qu’une manière parmi d’autres de produire un effet de réel. Et la beauté du Havre justement, c’est d’être au plus près d’une forme du réel qui touche et désempare. La bonté a priori et l’entraide solidaire entre les petites gens, les marginaux, ceux de tous horizons. Derrière le rôle que le théâtre de la société nous oblige parfois à jouer, se cache toujours un être humain. Sous le chapeau, la moustache et la réserve digne de l’officier de police qui doit retrouver à tout prix le clandestin se dresse Monet et sa bienveillance discrète mais active. Tout le monde est ainsi croqué avec tendresse et semble pouvoir offrir plus que ce que son rôle lui autorise. Même le chien, qui est complètement un chien, est aussi un peu plus. Le supplément d’âme.

Bref, ce que la théâtralité agréablement exagérée du nouveau film de Kaurismäki peut dire au spectateur, c’est que la bonté de l’être humain et sa solidarité avec l’autre sont choses plus naturelles que de jouer un rôle dans une société donnée. Ou que de faire du cinéma. Tout du moins « réaliste ».bub

Jacques Danvin

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Le Havre d’Aki Kaurismäki (Finlande, Allemagne, France ; 1h33)

Date de sortie : 21 décembre 2011

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