Stephen Jones aka Babybird
interview

RevueThe Pleasures of Self-Destruction, le nouvel album de Babybird, sort le 31 Octobre. A cette occasion l’homme-oiseau, Stephen Jones (voir le focus ici), revient sur son déjà long parcours de songwriter en répondant aux questions de BUB.

1.     De quand date votre dernier passage en France et quels souvenirs en gardez-vous ? Que pouvez-vous nous dire concernant votre dernier concert en France ?

De mémoire, la dernière fois que j’ai joué en France c’était lors d’une session radio et d’une émission télé où j’ai chanté en face du chanteur de Téléphone (dans l’émission Taratata Ndr). Ce fut une expérience bizarre mais amusante.

Je me souviens aussi qu’on a joué à la Cigale et d’autres fois dans le quartier de Pigalle, et ce furent les meilleurs concerts de ma vie !! La session radio, je me souviens d’une pièce noire avec des sièges récupérés çà et là, des gens étaient assis par terre… Finalement, j’en garde un sentiment de grande chaleur et de partage. J’adore jouer à Paris !

D’ailleurs, beaucoup de groupes, même plus petits que Babybird, jouent en Europe en priorité, et y cultivent leur notoriété. C’est une période que j’aimerais beaucoup revivre.

2.     Il y a 15 ans, vous chantiez « Je parlerai d’amour dans mes chansons jusqu’à ce que j’ai 45 ans et que je sois gros ». Or, vous avez désormais 49 ans et vous n’avez pas arrêté.

Celui qui dit dans la chanson « 45 ans et gros », ce n’est pas moi, c’est un de ces artistes âgés et bedonnants qui écrivent des chansons d’amour destinées à être chantées par des adolescents pré-pubères. C’est pervers, mais c’est toujours ainsi que ça fonctionne ! L’amour dans la musique pop, c’est une industrie, un moyen de faire de l’argent. Alors que l’amour « véritable » c’est une chose immanquable, impossible à combattre. En plus l’amour ne concerne pas exclusivement les relations humaines : l’amour des choses, l’amour des religions… C’est une liste sans fin ! Même une voiture affreuse est le produit d’un designer qui aime sa création !

3.     Cinq ans après l’échec commercial de l’album Bugged (2000), qu’est-ce qui vous a donné la motivation pour relancer Babybird ?

Mis à part Ugly Beautiful (1996) et les cinq albums lo-fi qui le précèdent, tous mes autres albums ont souffert de problèmes de timing lors de leur sorties. Tout est une question de timing, et malheureusement les sorties des albums de Babybird se sont toujours perdues dans la masse des albums de pop légère. En l’occurrence, j’adore Bugged donc  je ne le perçois pas du tout comme un échec. Mais il se trouve que quand le single « The F-word » était sur le point d’être sorti dans les bacs, mon ami et mentor, Scott Piering, un bon ami de John Peel, est décédé. Il assurait la promotion de l’album pour la radio et à la TV, et logiquement son activité et sa boîte s’arrêtèrent. Il y a très très peu de gens comme lui…

La motivation pour continuer a été simple. Un jour, Johnny (Depp), qui était assis aux côtés de Marilyn Manson, a écouté les morceaux « Bad Old Man » et « Take me Back ». Et la première fois que je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il se passerait bien des chansons de Babybird dans son oreillette pour se conditionner émotionnellement avant d’interpréter l’un de ses rôles. Ça m’a cloué !

En fait à ce moment-là j’étais prêt à arrêter la musique, une fois de plus. J’avais un manager qui n’avait aucune idée pour développer Babybird, je l’ai donc viré. Et alors le bon timing est revenu, la proposition de Johnny de m’aider a suivi ! Histoire de Karma.

4.     Comment expliquez-vous le fossé entre Between my Ears There is Nothing but Music (2006) et Ex-Maniac (2010) ?

J’étais sans label. Sans argent pour m’autoproduire. Et puis je voulais me consacrer à l’écriture de mon livre et passer le plus de temps possible avec mes enfants.

Je vais paraître un peu naïf mais je pense encore que Babybird devrait être entendu par autant de gens que possible, qu’ils puissent alors s’en faire une bonne idée et savoir s’ils aiment ou non. Un jour peut-être cela arrivera, avant que je ne devienne gâteux !

5.     Vous avez travaillé sur plusieurs albums avec Luke Scott et désormais vous semblez avoir commencé une nouvelle collaboration avec Bruce Witkin depuis Ex-Maniac. Pourquoi avez-vous arrêté de travailler avec Luke et comment avez-vous rencontré Bruce ?

C’est Depp qui m’a présenté à Bruce. Luke était en train d’étudier et il n’avait que peu de temps disponible. Mais il a joué sur le titre “Remember Us” sur le nouvel album et il sera sur scène également !

6.     Est-ce que la participation de Johnny Depp sur Ex-Maniac a eu un impact commercial ? Est-ce qu’on peut dire qu’il a donné une nouvelle impulsion à votre carrière ?

Etonnamment, pas vraiment. Entre Johnny et moi c’est plus une question de plaisir, de l’amitié quoi. Il joue uniquement pour s’amuser, ce qui n’empêche qu’il m’a énormément aidé.

Et puis retrouver l’énergie, me renouveler, c’est de toute façon ma quête éternelle !

7.     Parlons maintenant de votre nouvel album, The Pleasures of Self-Destruction, qui parait le 31 octobre prochain sur Unison, seulement un an et demi après Ex-Maniac. On a l’impression que vous retrouvez le rythme effréné de votre début de carrière ! Comment expliquez-vous cela ?

J’aime la frénésie et j’attends son retour. Il y a longtemps maintenant j’étais un petit poisson qui faisait son chemin sur le dos d’un requin. Et le requin voulait un autre “You’re Gorgeous”, si bien qu’en écrivant des titres comme “Bad Old Man” (paru sur le successeur de Ugly Beautiful, There Is Something Going On, Ndr) je me suis tiré une balle dans le pied. Il faut savoir que dans la presse britannique, un gros single ce n’est pas bien vu, du coup c’est une vraie bataille pour se défaire des a priori. Ma réponse à tout ça fut d’écrire une version lente et triste de « You’re Gorgeous », qui est d’ailleurs merveilleuse je pense. Mais ça n’a pas fonctionné commercialement parlant…

Le business en musique étant une épée à double tranchant, tu dois te protéger contre le chemin bizarre que l’album prend dès lors qu’il est mis sous cellophane et envoyé au monde entier, et en même temps garder la musique pure et intacte. Je suis toujours incroyablement passionné par ce que je fais après plus de quinze ans, mais c’est une vie bizarre. Tu es assis, isolé, reclus en train d’écrire des chansons et puis tout à coup ça devient un métier dans lequel tu dois vendre ton produit, comme n’importe qui d’autre. Mais quand ça se passe bien, ou que je suis sur scène, c’est le meilleur métier du monde. L’argent devient alors anecdotique et le plaisir prend le pas.

8.     Comme sur Ex-Maniac, on a l’impression qu’il est devenu important pour vous d’avoir un son naturel, avec peu de synthés et de boîtes à rythmes. Ce n’était pas du tout le cas dans vos efforts solo, sous votre nom ou celui de Death of the Neighbourhood. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ?

Pour être honnête je préférerai toujours travailler avec des samples, ou des sons étranges que j’ai trouvés. Je ne suis pas un batteur ou même un musicien dans le sens propre du terme, donc je me dois de savoir contrôler les boucles et les samples pour faire exactement ce que je veux.  C’est le cas avec Death of the Neighbourhood (dont il y aura bientôt un second album j’espère) ou l’album Almost Cured of Sadness (paru sous son propre nom Ndr). J’en aime l’aspect expérimental mais ces albums ne sont pas faits pour être joués en live, donc pour Babybird, j’ai décidé de laisser de côté les parties pré-enregistrées, les machines etc. Comme ça je peux jouer sur scène, c’est beaucoup plus simple s’il n’y a pas trop de technologie impliquée.

De toutes les manières un son épuré est une bonne chose pour moi, parce que par le passé j’ai trop complexifié ma musique avec des couches et des mixes à n’en plus finir. Il fallait me voir, lorsque j’ai pu sortir de cette prison qu’est le 4-pistes, j’étais comme un petit garçon dans un magasin de bonbons ! Ce fut d’abord le 8-pistes où le rembobinage est instantané, puis quand arriva le logiciel Garageband (un logiciel de mixage perfectionné NdT), je devins carrément intenable !

Mais à un moment, parce qu’un équilibre se trouve toujours, comme le ying et le yang, il y eut une sorte « d’effet Beethoven » : j’avais passé tellement de temps devant ma machine à torturer les sons que j’ai été au bout du compte atteint de surtension à l’œil et de surdité à mon oreille droite (maladie de Mesnières). C’est ce qui s’appelle un effet boomerang…

Dieu que j’aime la musique !

9.     J’ai lu que vous écoutiez en ce moment les derniers M83 et Mogwai. Cela peut paraître surprenant à l’écoute de vos disques, ce sont des styles très différents. Connaissez-vous ces artistes depuis longtemps, et qu’est-ce que vous aimez chez eux ?

Je n’écoute pas beaucoup de musique similaire à la mienne… Certainement parce qu’elle est unique ! (rires) En fait je pense que ma musique, du fait qu’elle manque de références, a du mal à être catégorisée par les journalistes. Mais je vois ça plutôt comme quelque chose de positif, bien que cela joue contre moi d’un point de vue commercial… Ahh c’est le problème de la dichotomie !!

D’un point de vue stylistique, j’aime de toute façon le côté épique, que ce soit les textes furieux d’Eric B dans Rakim, le scratching sur la chanson « Blue Flowers » de Dr. Octagon, la bande originale du remake de Solaris, M83 ou Mogwai.  Mogwai est un groupe extraordinaire dans sa capacité à donner de l’ampleur à la musique. Bruce Springtseen, même si je ne suis pas fan lorsqu’il fait de « la musique de stades », est capable d’écrire de superbes chansons (« Magic », « The Wrestler ») avec des paroles merveilleuses. Des gens comme Tom Waits, Sigur Ros, David Lynch savent aussi éviter le piège de la facilité.

10.     Les paroles sont un élément très important dans vos chansons. Souvent vous y mettez une ironie assez noire qui est balancée par l’instrumentation pop. D’où vient cette mélancolie ?

Lorsque je tombe dans ce puits sans fond qu’est la musique, je suis dans un état de méditation. Pas de mélancolie. Je suis dans un cocon finalement, comme s’il s’agissait d’un premier shoot d’héroïne, mais sans l’addiction. La mélancolie est présente, elle plane, mais je ne suis pas une personne mélancolique.

Bien sûr comme tout le monde je suis parfois déprimé lorsque je pense à l’état du monde dans lequel nous sommes, mais de toute façon, dès lors que l’on écrit à propos du monde réel, la mélancolie est inévitable. En revanche je ne suis jamais triste quand j’utilise ce sentiment dans mes chansons. Je dirais même que c’est lorsque je joue et écris de la musique que je suis le plus heureux.

Le but de la musique c’est d’abord de créer un moyen de s’évader, et souvent les paroles ne sont pas importantes dans la pop. C’est pourquoi je me suis tourné vers le hip-hop, la country et l’opéra. Mais aussi vers les musiques de films étranges et la musique instrumentale… Et il faut reconnaître que la plupart de ces styles sont « mélancoliques ». Mais en ce qui me concerne le terme « réjouissant » conviendrait mieux.

11.     Une autre question à propos de vos paroles. D’où vient votre inspiration ? Vous écrivez aussi, en parallèle de la musique, quelles sont vos références littéraires ?

Je suis principalement inspiré par le cinéma. C’est un art qui regroupe tous les éléments. Mais la plupart des idées viennent lorsque je conduis, que je marche, ou encore lorsque je suis dans un demi-sommeil, peu concentré sur les choses… Alors souvent une idée surgit. Mais je suis tellement désorganisé que je n’ai jamais un papier et un stylo sous la main. Heureusement que la fonction Notes de l’iPhone existe, c’est un vrai cadeau de Dieu ! Le seul inconvénient c’est que très souvent ma fille y met ses idées aussi, si bien que c’est souvent le bazar.

En ce qui concerne la littérature je citerai toujours Charles Bukowski. J’aime aussi Magnus Mills, Cormac McCarthy, et plus récemment une toute petite nouvelle appelée “Sum”.

12.     On sait que vous vous intéressez aussi beaucoup au cinéma. Quels sont vos réalisateurs favoris ? Avez-vous un projet dans ce domaine ?

Wim Wenders, Werner Herzog, David Lynch, David Fincher. Mes films préférés du moment sont tous deux français en l’occurrence. Danton, dans lequel figure Gérard Depardieu, acteur avec lequel j’ai grandi, et Les Enfants du Siècle de Diane Kurys avec Juliette Binoche. Mais Pont 9, Eraserhead, Blue Velvet etc. tous ces films ont forgé mon « espace mental ». Ajoutez à cela Joy Division et vous avez le cocktail parfait !

En fait j’aimerais faire plus en matière de cinéma. Le clip pour « Unloveable » m’a ouvert les yeux, et c’était beaucoup plus une expérience de cinéma qu’un simple clip. Cinq jours, une équipe énorme, en l’occurrence celle qui avait travaillé sur les films Pirates des Caraïbes. Mais paradoxalement, ce ne fut pas trop écrasant, même lors de cette scène où je suis pendu et que je dois ensuite nager à travers la boue et les roseaux. En fait on est dans l’élément naturel et ça rend l’action plus facile.

A l’époque j’avais réalisé le clip de « Bad Old Man », qui est assez bizarre. J’y suis sans arrêt en train de pivoter sur une chaise et je porte une prothèse faciale… Pas sûr que qui que ce soit de l’équipe m’ait alors pris au sérieux ! Bref, je serai toujours le mec un peu étrange quoi.

13.  Pour finir, y a-t-il une date prévue en France pour la sortie de The Pleasures of Self-Destruction ?

Je passe au Mans le 4 Novembre 2011 je crois. Il faut vérifier sur le site http://www.bad-pages.dk/ ou sur www.babybirdmusic.me pour les détails de la tournée…

 

par

François Corda

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